Le duo de performers se sépare, le temps d’un spectacle, pour mieux se retrouver. Rencontre.
En janvier 2017, on assistait, ébahi, au lancement d’une fusée spectaculaire : Grande de Vimala Pons et Tsirihaka Harrivel. Cinq ans plus tard, presque jour pour jour, la paire est là, assise avec nous au Centre dramatique national d’Orléans. La veille, les deux se partageaient les plateaux, elle avec Le Périmètre de Denver, lui avec La Dimension d’après.
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“Nous sommes partis de Grande pour décentrer le tout avec ces formats différents. La pratique du cirque oblige à penser les images, à concevoir la musique”, s’amuse Harrivel. “Chacun a commencé l’écriture de sa création par le biais du son. J’ai commis une pièce radiophonique sur le spectacle que je voyais ! Cela a peut-être à voir avec cette prétention joyeuse du circassien, comme un spécialiste de ce qu’il ne sait pas faire. En fait, on choisit le plus simple de chaque pratique”, rebondit Pons.
Elle avoue ne pas avoir dormi de la nuit après la première de la veille. Strappée pour protéger ses cervicales, Vimala a fait le show, une sorte de cluedo métaphysique drôle et tendre à la fois. N’hésitant pas à porter une (fausse) voiture de 30 kilos sur la tête. “En création, on est dans une bulle, protectrice. Pourtant, en décembre dernier, j’ai quasiment fait une dépression. Je voyais les concerts de nouveau annulés. Cela m’a impactée moralement. Il y a un moment où il est difficile de trouver un sens à ce que l’on fait.”
Tsirihaka Harrivel avait pris de l’avance avec La Dimension d’après, concert sous forme de confession. Créé en mars 2021 en plein confinement, avec quelques professionnels au Cenquatre, cet objet non identifié “a été percuté par la crise sanitaire. On s’est dit, soit on surfe, soit on coule. Mais au final, on a réussi à se rétablir”. Pour mieux se réinventer ?
“Je bosse sur des projets autres, comme un jeu d’arcade pour un endroit clos et pour une personne. Les choses infusent. Il y a cette envie de partager, autrement.” La dimension d’après, surtout, revient sur la chute de Harrivel en pleine représentation de Grande. “Je voulais, je devais faire une pause. La tension émotionnelle était trop forte. Même si les accidents sont le plus souvent liés à des éléments extérieurs. Rien n’est fiable.” Et de conclure : “Il y a quelque chose de très autofictionnel dans mon travail. Cela m’a énormément changé d’ailleurs. Dans La Dimension, tout converge vers la chute. Nos fictions rejoignent un peu de nos vies.”
Deux spectacles qui se font face
Les complices, “en dialogue permanent” sur Grande, ont pensé la suite en prenant la tangente. “Il y a des choses qui s’éloignent. Cela implique de changer le rapport au statut de coauteur. Et continuer à s’aimer pour toute la vie. Créer ensemble mais différemment. Changer le curseur de la relation”, ose Vimala Pons.
Deux spectacles donc, se répondant à leur façon. Et parfois présentés par les mêmes lieux. Le Périmètre de Denver questionne l’espace que l’on crée quand on ment. “Ce que je trouve fascinant avec le mensonge, c’est que sa force affabulatrice fonctionne encore. Sur les mythes, les symboles. On le sait, on sait qu’il y a une part de faux, pourtant on l’accepte. Mais à notre époque de fakes en tout genre, si on peut truquer à peu près tout, à quoi se raccroche-t-on ? Je crois en la force de la parole, en son pouvoir performatif. Cela doit être mon côté Vitez !”, s’exclame Vimala.
Dialogue pour une vision commune
Dans sa pièce, on retrouve son goût pour les rébus visuels, le décalage permanent. Et sa “spécialité”, le transport d’objets encombrants. “À 38 ans, je suis au maximum de ma physicalité ! [rires] Ce que je fais, ce moyen de transporter des objets, ce n’est pas du cirque à vrai dire : c’est un moyen de locomotion. On le retrouve en Afrique, en Asie, en Roumanie. Cette manière de porter des vivres, de l’eau, du bois. Et ce sont souvent les femmes qui s’en chargent. Dans mon cas, le risque est dans l’équilibre. Il faut faire en sorte que cela ne happe pas toute la dramaturgie du spectacle. Faire cohabiter la fiction avec une réalité physique qui est là. Et doit durer dans le temps. Comme un split screen, sauf que c’est du live.”
Pour Tsirihaka, “le dialogue avec Vimala s’est fait hors plateau. Seul, tu apprends autrement. Tu dois sortir de ta cuisine de création”. Et si les deux artistes ne sont pas du genre à parler d’une seule voix, ils se retrouvent sur une vision : “Qui peut changer quelque chose aujourd’hui ? Christiane Taubira. Il nous faut plus de Taubira ! Je n’ai pas le sentiment que Tsirihaka ou moi soyons des penseurs. Nous ne sommes pas dans une rhétorique, nous n’avons pas de réponses. Que des artistes prennent la parole c’est super. Mais ce que j’aimerais entendre, c’est encore autre chose.”
Le Périmètre de Denver de Vimala Pons, 1er et 2 février, Scène nationale Chambéry, du 10 au 12 février, Centre Pompidou Paris, du 16 au 26 février, Cenquatre Paris, Festival Spring, Val de Reuil, le 8 avril.
La Dimension d’après de Tsirihaka Harrivel, 2 et 3 février, Scène national Chambéry, du 8 au 20 février Cenquatre Paris.
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