En septembre, Anne-Sophie Lapix présentera le 20 heures de France 2 en remplacement de David Pujadas. Retour sur la carrière d’une journaliste qui a toujours affirmé un style sans concessions ni faux-semblants.
« Je n’ai pas un profil habituel pour ce genre d’émission. J’ai présenté plus de 6 000 journaux sur LCI, créé le 12.50 sur M6, dirigé des émissions de référence telle que Sept à huit, présenté le 20 heures de TF1 à l’époque où il faisait 45 % d’audience”
{"type":"Pave-Haut2-Desktop","device":"desktop"}
“Alors vous pensez bien que ce n’est pas une petite émission de la TNT qui va vraiment m’impressionner.” Ça, c’était Anne-Sophie Lapix, le 2 septembre 2013, inaugurant sa toute première de C à vous. Un discours face caméra qui donne le ton : autodérision, clins d’œil complices, impertinence.
Un CV en forme de must-have
En creux s’esquissent les contours d’un CV en forme de must-have. Elle oscille depuis deux décennies entre groupes privés et service public, fait rendre des comptes aux politiciens sur Canal (Dimanche+) puis goûte au climat plus pop du talk-show de France 5. Il y a dix ans, Lapix était le joker de Claire Chazal. Désormais, elle va remplacer David Pujadas au sacro-saint 20 heures de France 2.
Méthode Delphine Ernotte oblige, elle pousse la porte d’entrée quand d’autres sortent. L’homme aux seize ans de JT a été remercié à l’instar de Gérard Holtz, Julien Lepers, Patrick Sabatier, William Leymergie et Georges Pernoud. Exit la “télévision d’hommes blancs de plus de 50 ans” épinglée par la patronne de France Télés.
L’adepte de la fontaine de jouvence voit en Lapix l’opportunité du renouveau. “Elle est moderne, et ça faisait trop longtemps qu’une femme n’avait pas présenté un JT”, nous assure sa successeure à C à vous Anne-Elisabeth Lemoine, avant de décocher dans un rire qu’“Anne-Sophie ne sera pas une speakerine des années 1990 !”
Une interview de Marine Le Pen qui a marqué les esprits
Et pour cause, la patte Lapix, c’est sa “pugnacité”, ce mot loué par le jury qui lui remet le prix Philippe-Caloni du meilleur intervieweur en 2012. Le résultat de cinq années passées à titiller gauche et droite dans Dimanche+, exaspérant aussi bien Sarkozy que Montebourg.
A son rêve de jeunesse – devenir reporter de presse écrite – se substitue la vocation d’intervieweuse politique. Un style qui éclate en janvier 2012, lorsque la journaliste désarçonne Marine Le Pen sur son programme économique et constate, sourire à l’appui, “un petit problème de calcul”. Le fact l’emporte sur l’affect.
“Une véritable branlée, assénée avec douceur, patience et professionnalisme”, loue à l’époque Stéphane Guillon. Pas tant un moment d’irrévérence façon Canal que la victoire d’un journalisme à l’anglo-saxonne. Le journaliste Mathias Hillion se souvient de cette “interview où la pression se sentait même en coulisses, et qui a finit par devenir un vrai feuilleton”.
L’année suivante, la présidente du Front national revient et sort les griffes. Alors que Karim Rissouli rappelle les condamnations de certains élus frontistes des années 1990, Le Pen s’énerve et affuble Lapix du sobriquet de “Madame la commissaire politique”.
“Marine Le Pen était sortie totalement furieuse, nous insultait tous les deux, hors d’elle-même. Ce moment illustre à l’extrême la tension qui peut traverser ce genre d’exercice”, se souvient Rissouli, rebaptisé “Monsieur le procureur” par la dirigeante d’extrême droite.
Toujours distante de la classe politique
Arrivée à C à vous, Lapix sort la carte culture. Si les fous rires étaient rares sur Canal – si ce n’est en compagnie d’Olivier Besancenot –, ils deviennent légion autour d’un bon dîner “à la française”, aux antipodes de l’américanisé Grand Journal. Mais ses sourires sont le vernis d’un self-control bien affuté.
“Elle n’aime pas être prise au dépourvu”, appuie Patrick Cohen, qui admire “ses ressources face à ses invités, sa connaissance du dossier”. Pourtant elle essuie des critiques. Exemple, lorsqu’elle interroge en 2014 Mohamed, 14 ans, militant précoce du Rassemblement bleu Marine.
“On ne la verra jamais déjeuner avec Emmanuel Macron”
Sa méthode ne change pas, inusable – droit au but, sans pathos – mais pour certains, elle devient contestable. “Depuis l’épisode Le Pen, une certaine hostilité s’est manifestée de la part des dirigeants du FN, raconte Patrick Cohen, comme si l’on entrait dans quelque chose de plus passionnel et d’affecté.”
Durant plus de trois ans, Lapix refuse de servir la soupe aux politiciens et en subit les conséquences : Jean-Luc Mélenchon qualifiera C à vous d’“émission-traquenard”, “parfumée et puante”. Qu’importe, elle n’a que faire des connivences. “On ne la verra jamais déjeuner avec Emmanuel Macron, elle ne mélange pas les gens”, nous confie-t-on en coulisses.
Retour au hard news à la rentrée
Les gens non, les humeurs oui. Dans ce loft parisien aménagé en plateau, la journaliste se fait chaleureuse au gré des confessions d’artistes, bat le rythme durant les concerts, s’amuse d’elle-même à chaque dézingage en règle de Matthieu Noël.
Digne suite aux attentats du 13 novembre, elle lit d’une voix grave le Vous n’aurez pas ma haine d’Antoine Leiris. “On était tous sur le fil, glacés, l’émotion était difficile à contenir, mais Anne-Sophie n’a jamais tiré les larmes”, affirme sa complice “Babeth” Lemoine.
Aujourd’hui, la prolifique Lapix revient à ses premières amours, le hard news. Dans un coin de sa tête perdure certainement l’envie de briser “le cliché de la Barbie qui passe bien et lit son prompteur” – avouait-elle il y a quatre ans à L’Etudiant.
Pour son mentor Jean-Claude Dassier, qui l’a embauchée à LCI à la fin des années 1990, elle représente “la deuxième chance du service public”. Pas le moindre des challenges dans ce mercato en ébullition. Peut-être celui qui mérite le plus d’être relevé.
{"type":"Banniere-Basse","device":"desktop"}