Une icône qui suinte de l’huile chez une famille orthodoxe du Val d’Oise : ça va dans la rubrique insolite pour les journalistes mais cela pourrait prendre une importance autre chez les religieux. Face au défilé de centaines de pèlerins spontanés dans la maison de Garges-lès-Gonesse, que fait l’Eglise orthodoxe ?
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Depuis le 12 février, une icône de la vierge et son enfant, chez une famille orthodoxe d’origine turque du Val d’Oise, suinterait régulièrement un liquide huileux. Ledit miracle a pris la tournure d’un buzz médiatique aux accents religieux… qui commence à prendre beaucoup de place dans le salon de leur pavillon. Le défilé de centaines de pèlerins de toute confession qui « en ont entendu parler à la radio ou la télé » succède au bal des journalistes. Et l’Eglise orthodoxe dans tout ça ?
Un « miracle » à l’ère du buzz, ça donne quoi ?
Ca donne une petite maison de la banlieue parisienne devenue très rapidement lieu de pèlerinage. L’histoire commence un vendredi : lors de sa prière quotidienne, la mère de la famille Altindagoglu remarque de l’huile sur la surface de l’icône, cadeau d’un prêtre il y a quatre ans.
Pendant trois jours, les Altindagoglu observent; ces croyants originaires d’Antioche interprètent immédiatement la bizarrerie comme un signe divin. Ils contactent leur prêtre et leur métropolite, lesquels se rendent sur place plusieurs fois, avant de décider de célébrer l’évènement. Le bouche-à-oreille gagne la communauté et les environs. Quand les premières messes sont délivrées dans le salon, des journalistes sont présents.
S’ensuivent des reportages à la radio, une dépêche AFP (en rubrique « insolite », bien entendu), et des articles jusque dans les journaux étrangers. Conséquence : depuis, sans même que l’adresse exacte du lieu ne soit révélée, des centaines de personnes se rendent quotidiennement chez les Altindagoglu. Eux ouvrent leurs portes parce qu’ils considèrent que « le message est ouvert à tous », mais avouent commencer à fatiguer.
Le 9 mars, jour « plutôt calme », dans l’entrée où quelques dizaines de personnes insistent pour entrer malgré les horaires plus stricts mis en place par la famille, une des filles raconte : « On voit des gens de toute la France mais aussi des Etats-Unis, de Belgique, d’Allemagne, … Et de toutes les confessions : des juifs, des musulmans et des bouddhistes sont déjà venus« .
Côté icône, on l’a trouvée bien sèche : vu le nombre de cotons ouatés, mains pressées et serviettes de toilettes qui passent sur cette petite image collée sur un morceau de bois, le contraire eut été étonnant. Pour le voir, selon le père, « il faut venir le matin, avant que les gens arrivent; là, il coule de l’huile. »
Que fait l’Eglise orthodoxe ?
Contrairement à ce qui a été relayé, le Patriarche grec orthodoxe ne s’est pas déplacé. Il s’agit du métropolite Jean Yazigi, de l’archevêché grec orthodoxe d’Antioche en Europe occidentale – hiérarchiquement moins important. La famille, étant donné ses origines, est rattachée à cet archevêché. Le métropolite ayant son siège à Paris, il est plus compréhensible qu’il se soit rendu sur place.
Dans le communiqué qu’il a délivré, Mgr Jean Yazigi est resté très vague : « S’il y a une signification à donner à cette manifestation, c’est que la Sainte Vierge bénit cette famille, comme elle bénit aussi tous les fidèles et les êtres humains». Si l‘office qu’il a célébré équivaut à un début de reconnaissance, il ne peut s’apparenter à une validation officielle de l’évènement comme miracle.
Comment valide t-on un miracle ?
Vassa Kontouma-Conticello, spécialiste du christianisme orthodoxe, maître de conférences à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes, explique : « Il n’existe pas dans l’Orthodoxie, contrairement au Catholicisme, une instance particulière chargée de valider ce type de phénomène par une procédure spécifique. Si le phénomène se poursuit et prend de l’ampleur, s’il donne lieu à un culte populaire, qui à son tour trouve des expressions diverses (production d’hymnes, d’icônes, pèlerinages, etc.), si enfin les églises locales intègrent ces expressions du culte populaire dans des célébrations habituelles ou exceptionnelles, alors on peut parler d’une “validation officieuse”. »
Le « miracle » pourrait donc rester le fait de l’église locale, en l’occurrence ici de l’Archevêché grec orthodoxe d’Antioche en Europe occidentale. « Mais il faut que le phénomène persiste dans le temps et présente les caractères que j’ai signalés pour parler vraiment de reconnaissance de la part des instances religieuses. », précise la chercheuse.
La vierge « ne s’est pas arrêté de pleurer de l’huile depuis le 12 février », toujours selon la famille, et le culte populaire, bien aidé par le caractère viral que prend l’information, pourrait s’épaissir : car un mois après son signalement, il ne désemplit pas.
Le sens religieux d’un phénomène « couramment rapporté »
S’il s’avérait davantage reconnu, quel sens religieux donnerait-on à l’icône d’une vierge qui pleure de l’huile, chez les Orthodoxes ? Vassa Kontouma-Conticelli développe :
« Le sens religieux donné à ce phénomène est la manifestation de la grâce divine, une grâce qui est soit prophétique, soit une protection collective ou individuelle. Il s’agirait d’un onguent divin, qu’on appelle le “myron”, une huile au parfum très délicat, décrite dans plusieurs récits anciens comme d’une huile sentant les fleurs du Paradis. Le saint ou l’icône qui dégagent cette huile sont qualifiés de “myroblytes”. Mais le phénomène est couramment rapporté dans les récits de vies de saints. D’ailleurs, ces huiles parfumées ne coulent pas seulement des icônes, mais aussi et surtout des reliques des saints. »
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