Une dystopie politique vue depuis la régie d’une chaîne d’État : tel est le concept du jeu des Britanniques de NotGames, devenu culte avant même sa sortie officielle.
Soudain, un homme nu se précipite sur le terrain où deux concurrents livrent une partie d’un sport un rien étrange, consistant à lancer chacun à son tour une petite balle dans un seau. Vite, il faut changer de caméra, montrer l’arbitre ou le commentateur plutôt que l’indécent intrus bondissant. Surtout, éviter que, devant sa télé, le public voie ça.
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Nous sommes en régie, face à six écrans, avec une avance de quelques instants à peine sur ce que diffuse la chaîne. Alors, on reste attentif, on s’applique, jusqu’au retour en plateau.
Fausses pubs
Enfin disponible en version complète et définitive après deux années d’accès anticipé qui ont beaucoup fait pour sa réputation, Not For Broadcast nous place dans la position inhabituelle de celui ou celle qui décide de ce qui se verra à l’écran. D’abord, comme dans tout simulateur (de vol, de train, de machines agricoles…), il faut apprendre à maîtriser les commandes : le choix des caméras, le lancement des fausses pubs, la censure des grossièretés ou, par exemple pour une sitcom ou un jeu télé, le déclenchement des rires et applaudissements enregistrés. On s’en lassera d’autant moins que, plus le jeu avance, plus les séquences qui nous sont données se révèlent variées. Et burlesques, aussi, car Not For Broadcast tourne souvent à la farce joyeusement débridée.
Show de cuisine
Un petit détail : ces séquences sont interprétées par de vrais acteurs filmés dans la grande tradition des jeux en full motion video. Comme les meilleurs représentants récents de ce genre mal aimé, en particulier ceux conçus par Sam Barlow (Her Story, Telling Lies), mais aussi quelques grands anciens tel Night Trap, Not For Broadcast prend acte du fait qu’on ne dirige pas une personne filmée comme une créature de jeu vidéo classique et que l’enjeu tient alors plutôt à la relation qu’on entretient avec les images elles-mêmes.
Comment les associer, les organiser ? Quel pouvoir peut-on avec sur elles ? Et, pendant qu’on s’attache à les manipuler, est-ce qu’elles ne seraient pas aussi en train de nous regarder ? D’une interview politique à la séquence promo d’une star de la pop ou du rap, d’un show de cuisine au plateau du JT, Not For Broadcast multiplie les occasions de creuser la question.
“Gauche radicale”
Mais cette production britannique n’est pas que ça : c’est aussi un jeu politique, qui nous fait vivre en régie mais aussi à domicile (par une alternance entre vie professionnelle et intime qui rappelle, en moins subtil, l’excellent Papers, Please), le basculement fictif, dans les années 1980, d’un pays démocratique dans un régime autoritaire. Si on tique en découvrant que ce dernier est étiqueté “gauche radicale” (laquelle ne semble pas actuellement la principale “menace” pesant sur l’Europe), l’essentiel est ailleurs : moins dans le récit en tant que tel (parfois écrit à la truelle) de Not For Broadcast que dans son actualisation multipistes et multiformes, en situations tragiques et bouffonnes, de l’idée de (société du) spectacle pensé(e) par Guy Debord. Le résultat est une grosse blague et un déchirement, un truc génial et énervant. Un jeu qui mérite toute notre attention, ici et maintenant.
Not For Broadcast, (NotGames/tinyBuild), sur Windows, environ 21 €.
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