Réjouissante redécouverte du premier “Tartuffe” de Molière, non censuré, pour le lancement de la saison Molière à la Comédie-Française.
Vie et mort d’une famille dysfonctionnelle. À la façon d’une ouverture d’opéra, la longue première séquence du Tartuffe créé par Ivo van Hove avec la troupe de la Comédie-Française est sans paroles, livrée à la musique d’Alexandre Desplat, tandis que sur le plateau nu de la Salle Richelieu, une armée d’officiant·es installe le décor luxueux de la maison d’Orgon.
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En avant-scène, une fumée blanche se dissipe pour découvrir un amas de guenilles sous lesquelles dort Tartuffe avant d’être pris en main par Orgon. La toilette qui suit, le déshabillage et le bain ont tout d’un rituel, à la lueur de flambeaux laissant apparaître la crasse noirâtre d’une peau bientôt lustrée et la pâleur exquise d’un homme jeune et bougrement séduisant : Tartuffe sous les traits de Christophe Montenez. En fin de parcours, une autre toilette, mortuaire cette fois-ci, viendra, en miroir, mettre un terme définitif à l’explosion en vol de cette famille dirigée d’une main de fer par la mère d’Orgon, Mme Pernelle (fantastique Claude Mathieu).
Rien ne s’oppose à l’amour
Pour ce qui est de laver son linge sale en famille, rien de tel qu’un élément extérieur, perturbateur, à la façon du Théorème de Pier Paolo Pasolini, dont se revendique justement Ivo van Hove en s’emparant – une première depuis quatre siècles – de la version initiale du Tartuffe, “empreinte d’une force violente, presque sauvage”, et interdite par Louis XIV pour raisons politiques au lendemain de sa première représentation. Cinq ans après, Molière propose une autre version, plus longue de deux actes et donnant le beau rôle au roi, chargé de punir Tartuffe en le chassant de la demeure d’Orgon.
Pour Ivo van Hove, entre les deux versions, on gagne au change à redécouvrir ce Tartuffe non censuré car, “si l’on perd certaines choses, on en gagne d’autres : d’une part, le conflit qui oppose Orgon à son fils Damis est plus fort, plus dramatique. Ensuite, et c’est capital, rien ne s’oppose à ce que la relation entre Tartuffe et Elmire vienne occuper le centre de la pièce. […] Pour moi, en effet, Elmire et Tartuffe sont tombés amoureux l’un de l’autre. Enfin, j’aime l’idée d’une fin ouverte, de l’absence d’une véritable résolution.”
Une expérimentation sociale
Ivo van Hove pousse à bout chaque réplique et chaque trait de caractère des personnages de la pièce pour mener à bien ce qui relève pour lui d’une “expérimentation sociale” en reprenant les codes d’une sitcom : le séquençage de la pièce induit par les couperets sonores qui rythment les scènes, l’omniprésence de la musique et l’affichage d’inserts textes qui commentent l’action, la résument ou en signalent la portée politique sur un ton allègrement ironique, redistribuant la part d’hypocrisie dont chacun·e use à bon ou à mauvais escient.
Et à ce jeu-là, la troupe du Français excelle ! Perruque blonde, nuisette et talons aiguilles : aucun doute n’est permis sur la puissance de séduction d’Elmire, à laquelle Marina Hands se prête avec délectation, pour mettre au pied du mur le véritable penchant de son époux Orgon. La soumission aveugle d’un homme émasculé par une mère régentant son foyer à sa place donne à Denis Podalydès l’occasion de distiller son art d’une présence en demi-teinte, où la lâcheté le dispute à l’égarement, à l’effacement progressif de tout ce qui le constitue. Autour de ce trio basique de la trahison amoureuse, chacun·e tire comme il ou elle peut son épingle du jeu ainsi que le dévoile le réjouissant tableau final, finement intitulé “Neuf mois plus tard” et que l’on s’interdit de spoiler. Respect de la sitcom oblige.
Le Tartuffe ou L’Hypocrite, de Molière. Mise en scène Ivo van Hove. Avec Claude Mathieu, Denis Podalydès, Loïc Corbery, Christophe Montenez, Dominique Blanc, Julien Frison, Marina Hands et les comédien·nes de l’académie de la Comédie-Française. Du 15 janvier au 24 avril à la Comédie-Française.
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