En invitant le complotiste et pro-Trump Alex Jones, la célèbre journaliste Megyn Kelly a suscité de vives critiques. A l’origine de nombreuses polémiques, le personnage dérange et agace.
Lorsque Megyn Kelly a annoncé l’identité du prochain invité de son émission lors du Father’s Day , les réactions ne se sont pas fait attendre. Trois semaines après le lancement de Sunday night with Megyn Kelly, l’ancienne vedette de Fox News sur NBC depuis janvier 2017, avait choisi s’entretenir avec l’ultraconservateur et très sulfureux Alex Jones. Elle avait accueilli lors de sa première interview Vladimir Poutine mais n’avait pas réellement convaincu, récoltant seulement 6,2 millions de vues.
Le créateur du site d’extrême-droite Infowars accusé de transmettre des « fake news » – l’un des fléaux de cette ère de post-vérité – ne peut laisser indifférent tant ses propos conspirationnistes ont pu être choquants et sources de polémiques. Animateur dAlex Jones Show, rediffusé par plus de soixante radios locales, il a également une chaîne Youtube, au nom tout aussi original de The Alex Jones Channel, regardée plus d’un milliard de fois et aux deux millions d’abonnés.
D’après ce controversé personnage, décrit comme “le principal théoricien du complot américain” par le New York magazine, le gouvernement américain organiserait secrètement des attaques terroristes pour diffuser la peur et créer un sentiment d’insécurité, ce qui lui permettrait d’étendre son contrôle et de restreindre les droits des citoyens.
Il prédit le 11 Septembre
Il poste en juillet 2001 une vidéo où il prédit l’attentat du 11 septembre, annonçant certains détails et invitant les spectateurs à contacter la Maison Blanche pour demander l’abandon de ce projet meurtrier. Il est persuadé que la destruction des Twin Towers est un “coup monté de l’intérieur”, une démolition contrôlée :
“Si un quelconque acte terroriste arrive, il vient de ce gouvernement”, “Nous savons que les chefs d’état-major veulent faire exploser des avions de ligne”.
Lors de la tornade de mai 2013 à Moore (Oklahoma State) qui avait coûté la vie à 24 personnes et fait 387 blessés (en plus des 2 millions de dollars de dommage causés par les destructions), le conspirationniste avait accusé le gouvernement de “créer à la demande des tornades, dont il peut se servir comme arme et qu’il aurait peut-être utilisées dans l’Oklahoma pour tuer des douzaines d’individus”.
Au cours de la campagne présidentielle de 2016, où il soutient Trump, Jones affirme qu’Hillary Clinton et Barack Obama sont possédés par des démons. Le théoricien du complot ajoute que l’ancien président américain serait un membre d’Al-Qaïda, un “wahhabite pur et dur”.
Il qualifie également les victimes de l’attaque terroriste survenue en mai dernier à Manchester de « liberal trendies” (“branchés libéraux”). Suite à la tuerie de Sandy Hook, école primaire du Connecticut, qui avait fait 27 morts en 2012 dont 20 enfants et la directrice de l’établissement, Jones avait qualifié le drame de “canular”, de mise en scène et les parents des victimes de «comédiens». D’après lui, tout aurait été orchestré par des personnes réfractaires au deuxième amendement de la Constitution américaine qui autorise le port d’arme à tout citoyen. A la suite de ces déclarations, les familles encore éprouvées s’étaient alors plaintes de subir des harcèlements et des menaces.
L’annonce de son apparition sur NBC a eu l’effet d’une bombe
Beaucoup reprochaient à la journaliste de troubler une nouvelle fois le deuil des personnes touchées et de servir les intérêts du conspirationniste, lui permettant d’accroître sa notoriété et la portée de ses discours. Des psychologues avaient également invoqué le risque d’un potentiel manque de discernement de la part des téléspectateurs qui ne parviendraient pas à déceler le vrai du faux dans les élucubrations de Jones.
Des avocats de douze personnes ayant perdu des proches à Sandy Hook ont même demandé aux responsables de NBC de ne pas diffuser l’interview. L’affiliation de la chaîne au Connecticut a également déclaré refuser le visionnage de l’entretien et certaines publicités furent suspendues sur NBC News.
Ainsi, malgré les réactions nombreuses qu’avait suscitées l’annonce de sa venue, la désapprobation de l’audience fut bien visible et l‘émission ce jour-là fut beaucoup moins suivie qu’à l’accoutumée, 3,5 millions de vues selon Nielsen contre 5,3 millions pour la rediffusion de 60 minutes sur le concurrent CBS.
Jusqu’au dernier moment la journaliste a souhaité se justifier, déclarant au début du show “Certains ont pensé que nous ne devrions pas diffuser cette interview parce que ces allégations sans fondement ne sont pas seulement offensantes, elles sont dangereuses. Mais seulement voilà : Alex Jones ne s’en va pas.”
Au cours des dix-sept minutes d’interview, Jones a soigneusement évité les questions gênantes, n’y répondant jamais directement. Megyn Kelly avait tenté de lui faire reconnaître ses mensonges, lui demandant “Tous les parents ont décidé de s’exposer et de mentir à propos de leurs enfants morts ?” mais celui-ci n’avait alors fait que soulever d’autres questions remettant en cause la tuerie.
« L’homme le plus paranoïaque d’Amérique »
Face aux critiques, Megyn Kelly s’est défendue en s’appuyant sur les millions de personnes qui constituent déjà le public de “l’homme le plus paranoïaque d’Amérique” d’après le magazine Rolling Stone, parmi elles, Donald Trump qui avait fait une apparition dans une vidéo du site du complotiste.
L’ancien président de CNN Jonathan Klein a alors soutenu la journaliste déclarant que cette entrevue était “plus que légitime” et que “l’un des principaux objectifs du journalisme est d’exposer des personnages comme Alex Jones et de les rendre responsables, surtout lorsqu’ils obtiennent une telle attention du président des Etats-Unis”.
L’apparition de Tom Brokaw, figure emblématique de NBC, à la fin du show a également appuyé la légitimité de cette interview. Il soutient par ailleurs que “nous ne pouvons pas empêcher la propagation irrationnelle de la haine et de la division instantanément, en accusant aveuglément l’autre côté ou en détournant les yeux.”
Il a également été reproché à la journaliste de ne pas avoir été suffisamment dure envers le conspirationniste, le « selfie » qu’ils ont échangé tout sourire peu avant l’interview ne faisant qu’appuyer les attaques de ses détracteurs.
Elle a cependant assuré trouver les propos de Jones “révoltants” et a souligné le fait que cet entretien répond en tout points aux règles déontologiques de son métier :
“En l’invitant, notre but était de faire la lumière – comme les journalistes sont censés le faire – sur cette figure d’influence, et oui, de débattre sur les mensonges considérables qu’il a proclamés avec une impunité presque intégrale.”
Les réseaux sociaux ont bien évidemment servi également d’intermédiaire pour exprimer sa désapprobation, les personnes faisant part de leurs critiques envers l’interview de Jones en signant leur message par le hashtag #shameonnbc.
4) #ShameOnNBC for using malicious lies of a madman to pump ratings while Alex Jones profits and gets credible platform for conspiracies.
— Shannon Watts (@shannonrwatts) 18 juin 2017
Support the Sandy Hook families – don't watch NBC Megyn. #ShameOnNBC #SurvivorStrong @MomsDemand pic.twitter.com/8o9gF8LDuM
— Richard Martinez 🟧 (@riromtz) June 18, 2017
My mom was a hero and I've lived each day since 12/14 to make her proud. My life will not be diminished by #ShameonNBC I am #SurvivorStrong pic.twitter.com/4EnO9MgG08
— msherlac (@msherlac) June 18, 2017