André Téchiné a tourné avec Gaspard Ulliel lorsqu’il était très jeune et lui a confié pour la première fois un rôle principal dans “Les Égarés”, aux côtés d’Emmanuelle Béart. Le cinéaste évoque aujourd’hui leur rencontre et leur travail en commun.
J’ai rencontré Gaspard en 2002, lorsque je préparais mon film Les Égarés. Il avait 18 ans. Je voyais beaucoup d’acteurs, lorsque j’ai reçu une photo de lui, que je ne connaissais pas. Il avait fait encore très peu de choses, des petits rôles, de la télévision. Sa photo m’a vraiment intrigué : j’ai été frappé par sa beauté, qui était vraiment une beauté de prototype, qui ne ressemblait à rien. Je l’ai donc rencontré.
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Ce n’était pas un essai, on s’est parlé. Cette fois, j’ai été séduit par sa silhouette, et surtout par sa démarche. Car la démarche était un élément essentiel dans la définition du personnage des Égarés, un garçon un peu sauvage très à l’aise dans la vie en forêt. Et puis sa voix aussi m’a marqué, plus grave qu’on ne l’aurait imaginé, comme si elle sortait d’un autre corps. Il se dégageait de lui quelque chose d’un peu fantastique, de surnaturel, qui était exactement ce que je cherchais pour Les Égarés, dont le registre est proche du conte.
Un casting, c’est toujours projectif. On projette sur un corps qu’on découvre ou qu’on a déjà vu dans d’autres films, tout ce qu’on a investi à l’écriture sur un personnage. Avec Gaspard, j’ai eu la sensation immédiate de rencontrer l’outil idéal de ce transfert. Mon travail était de faire exister un personnage que j’avais inventé et j’ai su qu’il allait me permettre de le faire.
Ensuite, je l’ai découvert dans le travail. C’était un acteur très inventif. Il risquait des choses différentes dans chaque prise. C’était le contraire d’un acteur robotique qui se contente de faire ce qu’il sait faire. Bien sûr, il était encore très débutant et dans une exploration de ses propres capacités, de sa puissance de comédien. Il cherchait, était dans un souci constant de s’améliorer et de se renouveler. Je crois qu’il a toujours gardé ça, même en devenant un acteur plus expérimenté.
Dans la vie, j’ai tout de suite remarqué sa délicatesse et sa droiture. Et dans le travail, il était très entier. Son perfectionnisme, son exigence pouvait même parfois me paraître excessive. Il voulait répéter beaucoup. Avec son partenaire, Grégoire Leprince-Ringuet, qui n’avait que 14 ans, ils travaillaient énormément ensemble. Et parfois je les engueulais, parce que je suis assez attaché à une forme d’innocence dans le jeu, de surprise. Emmanuelle Béart faisait beaucoup pour les détendre, les inciter à moins préparer. Et parvenait très bien à ne pas se mettre en avant, à être à égalité dans le travail avec eux.
C’était la première fois qu’il tenait un premier rôle et portait véritablement un film. Mais j’avais la conviction que dans la foulée, il capterait le regard d’autres cinéastes, désireux comme moi de filmer son mystère, sa beauté étrange. Dès Les Égarés, puis ensuite dans les films qu’il a tournés avec d’autres, sa capacité à jouer des états seconds m’a sidéré. Il avait une aptitude à jouer l’inconscience, la défonce, l’ivresse, que je ne me souviens pas avoir vues de façon aussi réussie chez d’autres actrices ou acteurs. Je me souviens encore récemment avoir été sidéré dans la série de Guillaume Nicloux, Il était une seconde fois (2019), par cette aisance à entrer dans des états seconds. Il avait une faculté opaque à se mettre hors-sol.
Propos recueillis par Jean-Marc Lalanne.
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