Une plongée en temps réel dans les coulisses d’une cuisine, doublée d’une réflexion sur le processus créatif du cinéma
Qu’est-ce qu’un restaurant sinon cette fiction à ciel ouvert interprétée tous les soirs par sa troupe d’employé·es ? C’est l’idée passionnante que l’on retiendra après la découverte de The Chef. Tourné entièrement en une seule prise, le second long métrage de Philip Barantini suit le chef étoilé Andy Jones (bluffant Stephen Graham) qui tente de maintenir à flot son restaurant durant l’une des nuits les plus fréquentées de l’année alors qu’une crise personnelle et professionnelle est sur le point de le frapper. Saisissant de bout en bout, le film opère une montée en tension constante, jusqu’à son point de rupture : l’inexorable point d’ébullition (Boiling point, le titre original hautement plus inspiré que sa VF qui invisibilise l’idée de collectif pourtant centrale dans le film).
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Car si le chef Andy Jones en est le centre, le restaurant est une mosaïque complexe de voix individuelles (dont toutes s’élèveront in fine en un unique cri d’épuisement) que le film met remarquablement en scène aussi bien en tant qu’entité collective qu’individuelle, de la jeune Française fraîchement arrivée à la maîtresse d’hôtel rayonnante en apparence mais rongée intérieurement de doute jusqu’au barman dragueur.
Dans The Chef, le cinéaste britannique poursuit l’étude d’un milieu qui obsédait déjà Tati dans Playtime et sa fameuse scène de restaurant : filmer une façade où le sérieux et l’ordre semblent régner, puis s’infiltrer et en révéler le chaos extrême qui s’y niche dans les coulisses. Mais l’enjeu du film semble ici double. En prenant pour cadre dramaturgique ce restaurant, The Chef ne fait pas que restituer les traits d’un monde externe, il réalise son autoportrait. On en revient alors et toujours à la célèbre formule de Rivette selon laquelle tout film est le documentaire de son tournage.
Sauf qu’ici, le choix d’un unique plan séquence – dispositif devenu un peu systématique pour saisir l’immersion dans le cinéma contemporain – enveloppe le film d’un vernis particulièrement ambigu et retors. Au point de concentrer toute l’ironie du film : saisir en temps réel un navire qui chavire alors que l’existence du film, elle-même repose sur une prouesse technique dont le plan minutieusement programmé s’est déroulé à merveille, sans aucune entrave. L’autoportrait devient un miroir inversé. En organisant la rencontre de tous ces champs magnétiques inversés (le visible et l’invisible, l’ordre et le chaos) le film produit une réflexion captivante sur le hors champ, ce “lieu d’incertitude, voire d’angoisse” tel que le définissait le cinéaste et théoricien du cinéma Pascal Bonitzer. Une formule à laquelle The Chef ne pouvait donner davantage raison.
The Chef de Philip Barantini en salle le 19 janvier
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