Après s’être fermement opposée au mariage pour tous pendant des années, la chancelière allemande a déclaré cette semaine à la surprise générale qu’elle était prête à laisser les députés de son parti se prononcer « en conscience » sur une ouverture du mariage aux couples homosexuels. Ses adversaires politiques se sont empressés de la prendre au mot: le Bundestag a autorisé aujourd’hui le mariage homosexuel.
« Quand aurai-je le droit d’appeler mon compagnon mon mari si un jour je souhaite l’épouser? ». La question vient d’un spectateur qui se présente comme un « grand fan » de la chancelière allemande. Angela Merkel baisse d’abord les yeux, attend que les applaudissements s’estompent, puis l’inattendu se produit.
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Lundi soir, à l’issue d’une interview publique organisée par le magazine féminin allemand Brigitte sur la scène du théâtre berlinois Maxim Gorki, la chancelière allemande a pris tout le monde de court en déclarant qu’elle était désormais favorable à un vote du Bundestag sur la légalisation du mariage entre couples de même sexe, en laissant les députés de son parti, l’Union chrétienne démocrate, prendre leur décision « en conscience ».
En pleine bataille électorale et à quelques jours seulement de la fin de la 18ème législature du Bundestag, cette annonce a fait l’effet d’une bombe au sein de la classe politique allemande. Car Angela Merkel était jusque là fermement opposée au mariage homosexuel. Ces dernières années, chaque fois que le sujet revenait sur la table, elle éludait habilement la question pour ménager les susceptibilités au sein de son clan. L’Union chrétienne démocrate et son pendant bavarois, la CSU, restent en effet farouchement opposés à toute modification de l’institution du mariage – à l’instar du parti d’extrême droite AfD, en lice pour les élections législatives du 24 septembre prochain, ce que n’a d’ailleurs pas manqué de faire remarquer Angela Merkel avec une pointe d’ironie.
Pillage
Avec ce revirement de dernière minute, la chancelière allemande coupe l’herbe sous le pied de ses adversaires politiques. Car le reste de l’échiquier politique a fait du mariage homosexuel son cheval de bataille à l’approche des élections législatives. Les sociaux-démocrates SPD, les Verts, les radicaux de gauche de Die Linke, les libéraux du FDP: tous veulent instaurer le mariage pour tous en Allemagne et en faire une condition préalable à la formation d’une coalition avec la CDU.
Ce n’est pas la première fois qu’Angela Merkel surprend son monde en pillant les idées de ses rivaux, en imposant à son parti des mesures sociales émanant du SPD et des Verts. En 2011, après la catastrophe nucléaire de Fukushima, elle était devenue la chancelière de la sortie du nucléaire de l’Allemagne, avant de devenir la chancelière du salaire minimum, puis celle de la solidarité internationale, en ouvrant les portes de son pays à plus d’un million de réfugiés en 2015. De quoi redorer le blason de celle qui il y a encore quelques années était surnommée « la chancelière de l’austérité » dans toute l’Europe.
Le moment opportun
À chaque fois qu’elle agit de cette façon, Angela Merkel ne prend pas de grands risques. Elle continue d’appliquer sa devise chérie, « Im Ruhe liegt die Kraft » (« C’est dans le calme que réside la force ») et attend le moment opportun pour changer son fusil d’épaule. D’après un sondage publié ce début d’année par l’Agence allemande anti-discrimination, plus de 80% des citoyens allemands sont pour le mariage homosexuel. Et 55% des électeurs de la CDU/CSU y sont favorables selon un sondage publié hier par le quotidien Der Tagesspiegel.
Lundi soir, Angela Merkel a saupoudré son intervention d’un peu de storytelling en racontant au public berlinois que c’est en faisant la connaissance d’un couple de lesbiennes qui élevaient ensemble huit enfants adoptés en marge d’un meeting en 2013 dans une petite ville au bord de la mer Baltique qu’elle a revu sa position:
« Si l’État décide qu’il peut confier des enfants à un tel couple, alors je ne peux plus aussi facilement utiliser le bien de l’enfant comme argument. »
Le quotidien local Ostsee-Zeitung publie le portrait de Gundula et Christine Zilm, en couple depuis neuf ans et qui ont aujourd’hui la charge de cinq enfants âgés entre 9 et 18 ans. L’une d’elle avait abordé la chancelière avec ces mots : « Je souhaite qu’on arrête de penser de manière moyenâgeuse à notre époque », avant de l’inviter à leur rendre visite. La chancelière n’a pas encore tenu sa promesse de venir les voir mais est d’ores et déjà invitée à leur futur mariage si la possibilité de s’unir est enfin offerte aux couples homosexuels, ont fait savoir cette semaine les deux intéressées.
Ce matin, les députés du Bundestag ont légalisé le mariage homosexuel à 393 voix pour contre 226 voix contre. Sous l’œil des caméras, Angela Merkel a ostensiblement voté contre.
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