A l’affiche de trois films ce mois-ci, Ewan McGregor est impeccable dans le rôle principal de The Ghost Writer. Rencontre.
Un cor. Un cor d’harmonie, “c’est comme un cor de chasse, mais avec des pistons” : enfant, l’Ecossais Ewan McGregor jouait de la caisse claire dans un band de cornemuses et du cor d’harmonie dans un orchestre classique, du “french horn” en anglais – le terme, traduit littéralement en français, a plus à voir avec un organe viril qu’un instrument de musique. Pendant notre rencontre, dans un souci de voir perdurer les échanges culturels entre l’Ecosse et la France initiés par Marie Stuart, nous évoquerons ensemble les objets de la vie intime des hommes, qui sont grenouilles chez les rosbifs et vice versa…
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Du cor d’harmonie au corps harmonieux, il n’y a qu’un pas, facile à franchir pour un comédien aussi physique qu’Ewan McGregor. Il allie à part égale la performance de comédien parlant et pensant à celle de comédien d’action : courir, escalader une grille, prendre un gnon ou se casser la figure. Des gestes et des cascades qu’il accomplit avec une parfaite maîtrise de son corps sous la direction précise et dure de Polanski (qui le voulait vraiment pour le rôle). Cette facette de son talent lui a permis d’incarner Obi-Wan Kenobi jeune dans les trois derniers volets de Star Wars : la barbe lui donnait un petit air de Nicolas II portant la robe de bure de Raspoutine, mais son charme celte et anglosaxon, son don naturel pour changer d’accent lui ont permis de reprendre de façon très crédible le rôle tenu par le grand Alec Guinness dans le premier volet.
Ce tournant dans sa carrière a un peu fait oublier son image de petite frappe provocatrice qui l’avait révélé dans Trainspotting de Danny Boyle ou Velvet Goldmine de Todd Haynes. Suivirent quelques rôles dans des films plus ou moins importants mais où il était saisissant : Moulin Rouge! de Baz Luhrmann (2001) ou Young Adam de David MacKenzie (2003). Dans ce film sousestimé, sorte de remake de Théorème de Pasolini, il incarnait un personnage à forte tension érotique. Avec Big Fish de Tim Burton (2003), il franchit encore un pas.
McGregor ne s’en est jamais caché : il est un homme de sa génération, aime le rock’n’roll, les Harley-Davidson – il a effectué un périple de 20 000 miles autour du monde avec son ami l’acteur Charley Boorman –, mais son modèle depuis toujours, c’est James Stewart. A la fois l’homme – engagé dans l’armée, marié à la même femme jusqu’à la mort de celle-ci – et le comédien, “capable d’allier le charme, une démarche reconnaissable entre toutes et l’expression d’un malaise psychologique profond”. Il y a effectivement quelque chose de Stewart chez McGregor. Chez l’homme – la même compagne depuis seize ans, trois filles – mais surtout chez l’acteur : un équilibre parfait entre masculinité et féminité et ce petit sourire en coin, un brin narquois, qui vient des années 30. Les stars masculines, Gary Cooper, Clark Gable, Fredric March, se devaient de l’arborer pour exprimer un léger détachement par rapport à la passion qui les animait ou les ennuis qu’ils subissaient.
Cette faculté d’adaptation rapide aux catastrophes est l’un des fondements de la comédie depuis Plaute. Les Anglo-Saxons puis le cinéma américain l’ont transplantée dans le drame : l’ironie s’y transforme aussitôt en marque de virilité, en capacité de résistance nerveuse à tout, même au danger de mort (voir aussi John Wayne chez Ford, son sens de l’humour avant une charge de cavalerie). George Clooney, Brad Pitt, Matt Damon savent aussi faire cela. Mais le petit sourire et les yeux bleus et pétillants de McGregor ajoutent une touche juvénile et carygrantesque à son jeu. C’est flagrant dans Le Rêve de Cassandre de Woody Allen.
Toujours discrètement, en garçon bien élevé et en travailleur acharné, Ewan McGregor a grimpé le cursus honorum cinématographique. Il se retrouve aujourd’hui à l’un des sommets de sa carrière et, par les hasards du calendrier français des sorties, nous prouve qu’il est autant capable de jouer un homosexuel fleur bleue (I Love You Phillip Morris) qu’un écrivain de seconde zone plutôt malin (The Ghost Writer) et bientôt un journaliste naïf (Les Chèvres du Pentagone, désopilant, en salle le 10 mars). Dans chacun de ces films, il joue avec les acteurs les plus célèbres de son temps : Carrey, Brosnan, Clooney.
Pas grand-chose ne destinait Ewan McGregor, né en 1971 à Crieff, à devenir acteur. Son oncle Denis Lawson l’était (il incarnait le pilote Wedge Antilles dans les premiers Star Wars) mais c’est la télévision qui, à 9 ans, lui donne l’envie de devenir comédien. A 16 ans, il entre au Perth Repertory Theatre puis suit le cursus du Guildhall School of Music and Drama. Etre acteur relève aussi du rêve hollywoodien : il a une “prédilection pour les “vieux films” américains” que l’on regarde plusieurs fois parce qu’on s’y sent bien. Il affirme qu’il aurait “voulu connaître le temps des grands studios, quand les acteurs étaient sous contrat et enchaînaient les rôles sans avoir le temps de penser”. Quand on lui fait remarquer que ce système avait tout de l’esclavagisme, il répond naturellement :“Mes amis d’enfance, salariés dans des entreprises, travaillent toute l’année ; je ne vois pas pour quelle raison je ne pourrais pas faire pareil.”
Les moments d’inaction entre deux films lui pèsent. Il avoue aimer de plus en plus son métier, son succès lui permettant désormais de choisir ses rôles, de rencontrer des cinéastes qu’il admire, comme Guillermo Del Toro. Il n’en dit pas plus, bondit de son fauteuil pour nous raccompagner. Droit dans ses bottes, en harmonie avec son corps.
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