Le film de Marco Ferreri est de retour en salle ce 19 janvier, près de 70 ans après sa sortie.
Inspiré librement d’un personnage qui a vraiment existé au XIXe siècle, Le Mari de la femme à barbe raconte l’histoire d’Antonio (Ugo Tognazzi), un Napolitain fauché dans les années 1960 (pléonasme) qui découvre un jour, dans l’arrière-cuisine d’un couvent, Maria (Annie Girardot, impressionnante), une jeune femme souffrant d’hypertrichose (elle est très poilue).
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Antonio décide alors de tirer parti de son handicap et d’en faire un phénomène de foire sous le nom de la “Femme-singe”. Il devient à la fois son impresario, son compagnon, son metteur en scène et son partenaire de scène, dans des scènes exotiques grotesques. Ils montent à Paris, où ils triomphent. Bientôt Londres ?
Monstruosité
Tout cela est évidemment assez immoral, mais Ferreri n’enferme pas ses personnages dans leur caricature : il y a aussi de la tendresse entre les deux époux, Maria sort du couvent où elle vivait quasiment cloîtrée, effrayée par le monde extérieur qui lui renvoyait évidemment l’image d’un monstre. Ce monstre, en se montrant, va assumer sa monstruosité. Mais voilà qu’elle est enceinte et tout va changer.
Le film fut censuré en 1964 et connut trois fins différentes, que l’on peut voir aujourd’hui, grâce à la splendide restauration qu’en fit la cinémathèque de Bologne en 2017. Ce film étrange, perturbant, était devenu quasiment invisible.
Version censurée
Dans la version censurée italienne, Maria meurt après avoir accouché d’un enfant mort-né (la façon dont Girardot joue le passage de la vie à la mort est proprement stupéfiante). Dans la version non censurée, Antonio récupère les cadavres embaumés de Maria et de l’enfant dans le musée où il et elle sont exposé·es, et les présente dans un barnum de foire… La version française remet de la morale et de l’ordre dans l’affaire : ni Maria, ni l’enfant ne meurent, mais la femme à barbe a perdu sa pilosité abondante grâce à la grossesse. Alors Antonio, déçu, se résout à travailler comme docker sur le port de Naples.
On retrouve dans Le Mari de la Femme à barbe cette fascination de Ferreri pour l’animalité de l’être humain (déjà présent dans des films comme Le Lit conjugal, Liza, dont le titre italien est La Chienne, Rêve de singe…), et pour ce mystère ambigu et incompréhensible qu’est un couple pour autrui.
Le film s’inscrit aussi dans une certaine histoire du cinéma. La Strada de Fellini, en 1954, versant catho-rédemptrice, raconte aussi l’histoire d’un homme (Zampano/Anthony Quinn) qui exploite une petite bonne femme naïve (Gelsomina/Giulietta Masina). En 1977, dans un sketch des Nouveaux Monstres, “Le pinson du Val Padouan”, Ettore Scola, plus cynique, imagine un homme (Tognazzi, comme par hasard) qui rend sa femme, chanteuse de bal populaire devenue aphone, invalide en la poussant dans un escalier afin qu’elle apitoie les spectateur·trices sur son sort. Et elle remporte un grand succès…
Le Mari de la femme à barbe de Marco Ferreri, avec Ugo Tognazzi, Annie Girardot – ressortie en salle le 19 janvier 2022
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