Le passage de l’essayiste Renaud Camus dans l’émission Répliques, sur France culture, a provoqué une vague de protestations sur le net. À la Maison de la radio, les avis sont partagés sur la prestation du théoricien du Grand remplacement, samedi 24 juin.
“Ne tournons pas autour du pot. Certains auditeurs doivent être choqués voire stupéfaits, et même indignés que, pour parler de la question migratoire, j’invite Renaud Camus.” C’est ainsi que le philosophe Alain Finkielkraut introduit son émission Répliques le samedi 24 mai dernier, sobrement intitulée “Le grand déménagement du monde”. Face à l’écrivain aux convictions ethno-différencialistes, le démographe Hervé Le Bras, auteur de Malaise dans l’identité et de L’Age des migrations.
Conscient de la “lourde responsabilité” qu’il endosse en accueillant le théoricien du Grand remplacement, l’animateur se justifie : “Renaud Camus n’a plus de voix au chapitre et il est sur toutes les lèvres. En lui donnant la parole j’ai voulu mettre fin à l’anomalie de cette absence omniprésente.” En effet, sur le net, sa théorie selon laquelle les populations natives de France seraient culturellement et ethniquement remplacées par d’autres est largement relayée. Soit pour la défendre et dénoncer son accomplissement, comme le fait la fachosphère, soit pour la critiquer et ironiser, comme le font Meklat et Badrou du Bondy Blog.
Sur Twitter, de nombreux internautes se sont émus de l’invitation d’un homme condamné pour provocation à la haine. Lors des Assises internationales sur l’islamisation, à Paris, en 2010, l’écrivain avait qualifié les musulmans de « voyous » et de « colonisateurs ».
L'écrivain Renaud Camus condamné pour provocation à la haine contre les musulmans https://t.co/zFnlHQffeo invité de @franceculture #minable
— DeNitro (@Nitro_Politic) June 24, 2017
Donc Alain Finkielkraut invite Renaud Camus sur France culture pour parler du grand remplacement https://t.co/hOfLmtJvG9
— Luc Bronner (@lucbronner) June 24, 2017
Avant et après écoute
“À titre personnel, j’ai été surpris de cette invitation, confie un salarié de la radio. Qu’il y ait pu avoir des gens choqués, je n’en doute pas : sur le papier, c’était un peu bizarre d’avoir un tel invité.” Mais après écoute, il revient sur ses doutes initiaux et se réjouit de voir l’essayiste en difficulté. A plusieurs reprises au cours de l’émission, les arguments scientifiques de Le Bras mettent à bas les fantasmes identitaires de Camus.
“Alain Finkielkraut oppose à ce théoricien ultra-présent sur les réseaux sociaux et soutenu par ses fans un scientifique. Hervé Le Bras prend l’avantage dans le débat et oppose des chiffres à des fantasmes et à des raisonnements tronqués ou personnels.”
Une méthode qui n’est pas sans rappeler celle de Frédéric Taddeï, lorsqu’il invitait des personnalités controversées dans Ce soir (ou jamais!). “Habituellement, les idéologies de ces personnes n’étaient jamais décortiquées en direct face à eux. Là, ils étaient ramenés au rang de théoriciens fumeux, et non plus de martyrs censurés.” Parler de migrations avec Renaud Camus a donc permis, selon ce salarié de France culture, de “voir d’où émanait la notion et d’en tester les limites”.
“Si on fait juste un show pour donner la parole à quelqu’un qui a des théories abjectes, ce n’est pas intéressant. Si c’est un vrai match, les masques tombent et on va au-delà de la confrontation entre fans et opposants farouches.”
“Le débat n’a pas vraiment eu lieu”
“Je ne sais pas si j’aurais pu organiser ce débat, mais quand j’ai vu la programmation, je me suis dit que j’avais envie d’écouter le résultat”, s’amuse Hervé Gardette, producteur de Grain à moudre, l’émission quotidienne de débats de la station. Pour lui, »Chaque producteur est libre d’inviter qui il veut. Cela relève de la liberté éditoriale, et est sous la responsabilité de la direction”.
Toutefois, il regrette que les deux interlocuteurs ne se soient pas placés sur le même registre lors de l’échange. “Renaud Camus était strictement dans l’idéologie tandis que le démographe restait dans une approche scientifique et statistique des migrations”. Le débat n’a donc “pas vraiment eu lieu”.
“C’est quelque chose qui arrive très régulièrement, lorsque l’on organise ce genre d’émission. On peut avoir avoir deux personnes qui parlent de la même chose mais sur des registres vraiment différents. Le débat n’est alors pas réussi. C’est plus embêtant lorsque c’est avec quelqu’un comme Renaud Camus.”
S’il admet que “des choses très dures ont été dites”, le journaliste nuance l’impact des propos du théoricien : “Ce n’était pas une interview ni une tribune libre, Alain Finkielkraut a essayé d’arbitrer et de nuancer durant l’émission.” Sa seule déception : que le résultat ne soit pas “à la hauteur de ce qu’on pouvait attendre d’un débat avec Renaud Camus”. A bon entendeur…