Trois ans durant, Cédric Klapisch a filmé la danseuse étoile lors de ses répétitions : une bûcheuse acharnée qui sait transgresser les codes.
Allongé, redressé, plié, déployé… Le corps d’Aurélie Dupont se livre à une transe continue. Sur la scène du temple qui l’a faite reine, l’Opéra de Paris, la danseuse étoile file à la vitesse de la lumière dans la voie lactée. Elle capte immédiatement le regard, comme si la grâce de ses déplacements dévoilait ses instants décisifs. C’est au coeur de ce paradoxe apparent, entre la course suffocante de ses gestes répétés et la tentation de fixer chacun d’entre eux, que Cédric Klapisch l’a filmée sporadiquement durant trois ans.
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Filmer la danse repose sur une complexe alchimie : saisir en même temps la vivacité du mouvement et sa décomposition. Ce défi de regarder une danseuse en action et d’en percer le mystère créatif trouve dans Aurélie Dupont danse, l’espace d’un instant… (Fipa d’or 2010 catégorie musique et spectacles) un plein accomplissement : l’étoile filante laisse derrière elle des traces que le cinéaste capte en douceur.
Plutôt que de s’attacher à la part publique de l’artiste, souvent exposée dans les magazines, Klapisch se concentre sur le labeur d’une “travailleuse”, tenue à une discipline et un engagement absolus pour briller sur les scènes du monde entier. Le film excède ainsi le cadre d’un portrait classique (sa vie, son oeuvre…), néglige les confessions intimes de la danseuse en préférant observer les confessions secrètes de son corps au travail.
Le réalisateur reste fidèle tout au long du film à son dispositif de dévoilement : regarder son modèle dans l’épanouissement de son art plutôt que de mettre à nu son statut de star. Lorsque Aurélie Dupont tombe enceinte, le tournage s’arrête et reprend huit mois plus tard, sans qu’on s’attarde sur l’événement autrement qu’en constatant l’énergie qu’il lui faut pour se remettre en selle ; lorsqu’elle prend le métro pour rentrer chez elle, Klapisch la suit jusqu’en haut des marches de la station, et la laisse partir vers ses horizons personnels…
Le chemin du cinéaste le ramène vers les salles de répétition de l’Opéra, où se préparent les ballets (La Dame aux camélias, Le Lac des cygnes, Raymonda de Rudolf Noureev). Dans Le Parc, chorégraphié par Angelin Preljocaj, Aurélie Dupont démontre sa capacité à transgresser les codes rigides de la danse classique pour remettre son corps en jeu dans un exercice de style contemporain.
Klapisch s’attarde sur le travail d’appropriation du ballet mené avec son complice Manuel Legris. A la précision de chaque geste, du glissement d’une main sur une épaule à la manière de se suspendre au cou de son partenaire, se mêle le vertige du discours. Le cinéaste écoute autant qu’il regarde. Sur chaque sensation, les danseurs et leur chorégraphe greffent spontanément des mots, capables de réorienter leurs sauts dans l’espace. Danser, c’est savoir formuler son expérience du mouvement. Le corps parle, au propre comme au figuré. Les mots ont aidé Aurélie Dupont à trouver la forme d’un déplacement, d’une chute ou d’une ronde. C’est ce long travail de construction du mouvement, sublime et furtif, que révèle Cédric Klapisch en filmant une danseuse dans la majesté de son désoeuvrement.
Aurélie Dupont danse, l’espace d’un instant… Documentaire de Cédric Klapisch. Mardi 2 mars > 22 h 40 > France 3
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