La Maison Européenne de la Photographie à Paris accueille la première rétrospective en France de Samuel Fosso, révéré pour ses autoportraits performés passés au prisme des contingences sociales, historiques et géopolitiques
Dans le studio photo qu’ouvre, à 13 ans, le Camerounais Samuel Fosso à Bangui (République centrafricaine), une publicité proclame : “Avec Studio Photo Nationale, vous serez beau, chic, délicat et facile à reconnaître.”
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
À la Maison européenne de la photographie à Paris, qui lui consacre, en France, sa première exposition solo, c’est également par là que l’on commence. Il y a, occupant tout un mur, un décor en noir et blanc de studio, faisant face aux visiteurs et aux visiteuses et les invitant, à son tour, à prendre la pose, et à devenir tout cela : beau, chic, délicat, facile à reconnaître.
Une archive historique, dédoublée par l’invention de soi
Avant de venir expliciter le dernier point, et donc d’entrer dans la matrice d’une œuvre qui, pour l’instant, ne s’attelle pas encore à mettre en crise les définitions préétablies (le fait de l’art ?), il faut d’abord faire un sort à cette pratique : celle qui le verra amasser une riche archive photographique de la Centrafrique. De 1975 à 1990, Samuel Fosso travaille comme photographe de studio. C’est-à-dire qu’il réalise, au fil de commandes de particuliers, des photos d’identité ou d’apparat, comme le firent avant lui d’autres photographes aujourd’hui révérés depuis les cimaises des musées, Seydou Keïta ou Malick Sidibé.
Le choix de l’artiste d’exposer également cette partie de son travail élargit d’emblée la portée de la proposition. L’histoire est connue, mais cette première partie peu montrée. La seconde, au contraire, les autoportraits, le rendra célèbre : une fois tiré le rideau sur les activités diurnes, il utilise les restes de pellicule pour se mettre en scène, inspiré par le répertoire de poses et de parures des magazines de mode internationaux – pattes d’eph’, colle pelle à tarte, regard frondeur. Bien qu’encore gardés secrets, privés, ce seront les premiers exemples d’un registre d’expression qu’il maintiendra cinq décennies durant, et jusqu’à aujourd’hui : la mise en scène de soi.
La mode : le soi comme construction sociale
En 1993, l’artiste rencontre Bernard Descamps par l’entremise du représentant de Kodak à Bangui, commissionné par les Rencontres de la photographie africaine de Bamako. À rebours du succès populaire de la couleur pour les commandes, celui-ci lui demande de ressortir les tirages noir et blanc. Et surtout, les fameux autoportraits, qu’on lui associe aujourd’hui spontanément. À la MEP, le premier ensemble réunit ces premiers travaux, tout en suivant leurs prolongements : les pages du Vogue Homme automne/hiver 1999-2000, ou la nouvelle série Fosso Fashion (2021) commandée par A Magazine Curated By et réalisée avec la styliste Grace Wales Bones.
Sur le chemin, on s’arrête sur un registre d’expression sensiblement différent. La série Tati (1997) est en couleurs, les tirages plus grands, Samuel Fosso en est toujours le prête-corps, mais cette fois, il incarne des personnages, ou pour le dire autrement, des stéréotypes issus d’une mauvaise série américaine ou de l’inconscient occidental : le businessman, la bourgeoise, le rockeur ou encore le maître-nageur. Dès lors, les pôles du système de représentation, de la société par le prisme du soi, sont en place chez l’artiste : entre l’intime et le social, il fera varier les dosages, tout en conservant la tension entre les deux.
Composer avec l’Histoire, pour tenter de s’inventer malgré tout
Faciles à reconnaître, alors, les sujets posant au fil des cadres ? Chez Samuel Fosso, ceux-ci émergent, pris ensemble, bien que chevillés au corps d’un seul et jetés dans l’arène de la médiation (la photographie, ou plus simplement la scène qu’elle ouvre), de la pluralité de l’humain comme “bête de styles”, tel que décrit par la théoricienne Marielle Macé dans son essai Styles (2016), critique de nos formes de vie où “l’apparaître n’est pas la marque d’une place, c’est le plan mouvementé d’un travail”.
Ce qui se donne à voir et à penser déconstruit en cela l’approche traditionnelle du style comme “marque de distinction”, préférant à la tradition baudelairienne du dandysme solipsiste, l’approche interactionnelle d’Erwin Goffman de la présentation de soi. À la MEP, la suite du parcours convoque la guerre, l’histoire des indépendances ou la géopolitique. Avec Mémoire d’un ami (2000), Samuel Fosso rejoue l’assassinat de son ami et voisin par l’armée centrafricaine à Bangui ; avec African Spirits (2008), il incarne (sans les nommer) Angela Davis, Malcolm X, Mohamed Ali ou Leopold Sédar Senghor ; et avec Emperor of Africa (2013), il performe Mao pour fustiger la prédation de la Chine sur les ressources du continent africain.
L’exposition, qui rassemble près de trois cents photos, se clôt en point d’orgue sur la série SIXSIXSIX. Soit 666 autoportraits : cadrage resserré, sobriété exacerbée, tel un exercice d’exorcisme désormais à mains nues et à visage découvert, face aux épreuves – guerre, exil, maladie – qui auront marqué sa vie, et présidé à la mise en scène de soi comme tentative de composer avec les forces exogènes plutôt que de se laisser marquer au fer rouge.
Samuel Fosso, du 10 novembre au 13 mars à la MEP – Maison européenne de la photographie à Paris.
{"type":"Banniere-Basse"}