Dans le cadre du focus sur le Liban proposé par FARaway, festival des arts à Reims, le danseur transmue avec “A’Alehom” la douleur et la violence en éclats de beauté irradiants de désir.
Tabula rasa. C’est l’état intérieur qu’Alexandre Paulikevitch laisse sourdre par tous les pores de sa peau à travers la danse d’A’Alehom, un solo qui traverse des strates de souffrance et de beauté pour finir sur un poing levé, la signature gestuelle de la résistance. Tout a commencé la nuit du 17 octobre 2019.
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Descendu dans la rue pour défendre les droits économiques et sociaux des Libanais, et exiger la fin de la corruption ainsi que la démission des responsables politiques, il a été tabassé et arrêté par la police.
4 août 2020. Le port de Beyrouth explose et sa maison avec
Rentré chez lui, il danse : “Comme si quelque chose s’échappait de moi. Comme si la danse me permettait d’explorer une beauté dans la noirceur, dépassant la seule violence et la dépression”, relate le danseur libanais dans le programme du festival Les Rencontres à l’Échelle où nous découvrons son solo en novembre dernier.
4 août 2020. Le port de Beyrouth explose et sa maison avec. Plusieurs de ses amis disparaissent. Son père meurt. Alors, celui qui s’est fait connaître par son cabaret flamboyant de baladi, cette danse orientale “réservée” aux femmes dont il est un interprète éblouissant, se lance dans un solo épuré : “Je n’ai plus rien. Je créerai avec rien.”
Pas de bande-son, pas de décor, à l’exception d’une caisse de bois posée verticalement sur le sol, pas de costume. Lorsqu’il entre en scène, Alexandre Paulikevitch retire ses vêtements, défait ses cheveux retenus par un élastique et quitte le plateau. Une ouverture en forme de manifeste, A’Alehom ou le degré zéro de l’écriture chorégraphique.
Des réminescences de Kazuo Ohno
Lorsqu’il revient, sa silhouette tordue évoque un danseur de butô, élaborant sa propre danse des ténèbres avant de retrouver l’ondulation du bassin, la calligraphie des bras et des mains sculptant l’espace, jouant avec les contraintes spatiales de la caisse-prison, caisse-cercueil, symbole de l’enfermement physique et psychique, de l’isolement émotionnel, économique et politique vécu par le peuple libanais.
Accordés à ses mouvements, ses gémissements deviennent peu à peu mélodie murmurante, les tremblements du corps et les gestes de défense se dénouent. Rondeur et amplitude gestuelle prennent le pas, jusqu’à cette interprétation frémissante du Lac des cygnes, son agonie stupéfiante de beauté. “Un hommage à Maïa Plissetskaïa”, nous confie-t-il après le spectacle.
De fait, il y a beaucoup de Kazuo Ohno “incarnant” la Argentina, cette figure majeure du butô, dans A’Alehom. La danse d’Alexandre Paulikevitch se défie de la norme et du genre imposé pour se laisser inonder d’une sensualité vibrante. L’image finale du danseur portant un masque à gaz et levant le poing n’en a que plus de force.
A’Alehom les 2 et 3 février à FARaway, festival des arts, Reims.
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