Givenchy, Maison Margiela, Ungaro, Vêtements : la liste est longue. Les marques sont de plus en plus nombreuses à snober les podiums et annuler leurs shows. Les fashion weeks raccourcissent à vue d’œil. D’où vient donc ce mouvement de recul ? Le défilé serait-il passé de mode ?
En 1964, Courrèges faisait danser et sauter ses mannequins toutes de PVC vêtues. Thierry Mugler avait relevé le pari de remplir le Zénith et faire payer les spectateurs. Alexander McQueen organisait de véritables performances artistiques et aspergeait ses créations de peinture. On pense également à Louis Vuitton durant l’ère Marc Jacobs lorsqu’il s’était mis en tête de faire rouler une locomotive à vapeur dans la cour Carrée du Louvre. Aux extravagances de Karl Lagerfeld chez Chanel. Certains défilés de mode ont été le théâtre de bouleversements importants pour cette industrie, de moments hors du commun. Ils ont fait de ce rendez-vous un incontournable, permettant aux marques de montrer leur grandeur, qu’elle soit financière ou créative, d’enrichir l’imaginaire qui gravite autour d’elles.
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Pourtant, depuis quelques saisons, alors qu’elle est systématiquement relayée (instantanément ou presque) sur le web, cette institution est remise en question. De plus en plus de créateurs boudent le défilé. Certains se retirent du calendrier de la Fashion Week (8 défilés en moins à la semaine de la mode de Milan, début juin 2017) ou réduisent leurs apparitions en fusionnant les shows homme/femme.
Pour David Zajtmann, professeur à l’Institut français de la mode et spécialiste des stratégies des entreprises d’habillement et des villes créatives dans les industries de la mode, la première raison de ce comportement est financière :
« Dans les années 70, le budget pour l’organisation d’un défilé n’était pas énorme. Il y avait une forme de bienveillance vis-à-vis de la création. Ça attirait les gens. Les techniciens pouvaient accepter de faire payer moins cher à un jeune designer. Les mannequins étaient beaucoup moins rémunérés qu’aujourd’hui. »
Loin d’une Kendall Jenner qui touche des sommes astronomiques à chaque apparition. « Résultat, les enjeux financiers étaient moins lourds. Les créateurs pouvaient se permettre plus de choses. »
Des dépenses monstrueuses
A l’heure actuelle, les dépenses allouées à une Fashion Week en 2017 sont effectivement colossales. C’est un des arguments que Demna Gvasalia, créateur géorgien à la tête du collectif Vêtements et directeur artistique de Balenciaga avance. Interviewé par Vogue, il explique :
« Ça coûte tellement d’argent… Impossible d’organiser un défilé qui coûtera moins de 25 000 euros. Notre dernier a avoisiné les 100 000 euros, avec la location du lieu. Et il existe des marques qui dépensent des millions. C’est vraiment du gâchis. »
Des dépenses énormes, et que certaines marques considèrent mal réparties. David Zajtmann poursuit : « Aujourd’hui, dans beaucoup de maisons, le prêt-à-porter rapporte très peu. Actuellement ce sont les parfums qui les font vivre. » Dès lors, pas de quoi se ruiner en un show extraordinaire pour écouler quelques pièces. Mieux vaut mettre le paquet sur une campagne et promouvoir la dernière fragrance en date.
Une tradition monotone
D’autre part, l’envie et la nécessité de se démarquer sont importantes.
« Toujours dans cette idée de ne pas prendre trop de risques, les marques vont avoir tendance à avoir recours aux mêmes grandes agences pour organiser leurs shows, aux mêmes prestataires. Résultat, tout le monde fait à peu près la même chose. Ça donne une forte impression d’homogénéité » analyse David Zajtmann.
Certains décident donc de procéder différemment, quitte à rejeter totalement le modèle du défilé. « Nous ne ferons plus partie ce système trop classique« , confirme Demna Gvasalia à Vogue. « Je m’y ennuie. Il faut entamer un nouveau chapitre. Le défilé de mode n’est pas le meilleur outil. Nous avons essayé de le moderniser en l’organisant dans un sex-club, un restaurant, une église. Nous avons mélangé les collections hommes et femmes. Mais rien n’y fait, c’est devenu répétitif et épuisant. »
David Zajtmann nuance cependant :
« Pour les nouveaux entrants, le défilé représente un tremplin pour se faire connaître. Il y en a d’autres, comme devenir directeur artistique dans une grande maison. Mais en tout cas, un jeune créatif pourra se permettre autre chose après avoir eu recours au défilé, qui lui aura donné de la visibilité. Ensuite il peut choisir d’être présent pendant ces semaines de la mode et de la couture, mais pas de la manière traditionnelle. »
Showrooms, performances, diffusion de la collection sur les réseaux sociaux, hologrammes, expositions de photos… Le champ des possibles est infini. Demna Gvasalia est en plein réflexion, en ce qui concerne le tournant que prendra Vêtements, et souhaite que « l’effet de surprise soit plus marqué« . La marque à l’ascension fulgurante vient de présenter une exposition de clichés de sa collection printemps-été 2018 mis en scène dans les rues de Zurich et rassemblés dans un lookbook à l’esthétique normcore.
Début d’une nouvelle ère ?
Un vent de nouveauté a parallèlement soufflé sur la Fashion Week masculine qui vient de s’achever. Chez Acne Studios, public et mannequins ont échangé leurs places. Les modèles, avachis sur des chaises en bois se sont levés à la fin de chaque titre pour applaudir des visiteurs interloqués, entrés côté backstage. Même effet de surprise chez Comme des Garçons, habituellement adepte d’ambiances monacales et inquiétantes. Une ambiance disco et des lumières multicolores pour un public tout sourire à la sortie du show. Avant de le rejeter, certains aspirent donc à réinventer le défilé pour en faire (à nouveau) un lieu de contact, d’inventivité et pourquoi pas de dérision.
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