L’incendie qui a ravagé la tour Grenfell est symptomatique d’une grave crise du logement à Londres, résultat d’une aggravation des inégalités après 37 années de politique néo-libérale.
Au moins 79 morts, c’est le lourd bilan de l’incendie qui a dévasté la tour Grenfell, logement social de Kensington. Parmi les victimes, une majorité quasi-écrasante de personnes issues de l’immigration. L’incendie se serait déclenché à cause d’un simple frigo défectueux mais c’est surtout lla précarité du bâtiment qui est responsable de sa rapide propagation. Pas de système anti-incendie adéquat, des canalisations de gaz mal protégées et un revêtement en matériaux inflammables. Cet évènement cristallise plusieurs enjeux sociaux auxquels fait face la ville de Londres, à l’instar de nombreuses grandes capitales. Les autorités britanniques locales et nationales sont accusées d’avoir trop longtemps négligé la question du logement social.
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Plusieurs jours de manifestation contre le gouvernement
Plusieurs personnes se sont réunies pour afficher leur soutien aux victimes. L’association Movement for Justice by any means necessary a notamment organisé une manifestation intitulée « Day of Rage » le 21 juin. Sous le slogan “guerre des classes : pas de justice ? Pas de répit. À bas le gouvernement”, l’association dénonce les politiques d’austérité ainsi que « l’avidité et la corruption des grandes compagnies qui ont causé l’incendie de la tour Grenfell ».
Le maire de Londres, Sadiq Khan, a déploré la « piètre attention portée aux victimes par le gouvernement » dans les jours qui ont suivi l’incendie, alors que plusieurs personnes se sont plaintes du manque d’information et de coordination des institutions. « L’ampleur de cette tragédie s’avère excéder nettement les capacités des seules autorités locales » a-t-il écrit dans un courrier à la Première ministre Theresa May.
London Mayor Sadiq Khan: #GrenfellTower disaster follows "years of neglect" by council and successive governments https://t.co/9I4rTE0AYi pic.twitter.com/Gp7gmF0hVB
— BBC Breaking News (@BBCBreaking) June 18, 2017
Antécédents, avertissements : pourquoi l’accident aurait dû être évité
Le maire travailliste a également déclaré voir en l’incendie de Grenfell la conséquence de plusieurs années de négligence. En effet, l’ancien comité des résidents affirme ne pas avoir été écouté lorsqu’il s’est plaint des conditions de précarité du bâtiment auprès du conseil d’arrondissement. Les habitants auraient d’ailleurs rapporté à de nombreuses reprises le mauvais fonctionnement des équipements de secours… En vain.
En 2016, un rapport du Comité des droits économiques, sociaux et culturels de l’ONU exhortait déjà le Royaume-Uni à prendre les mesures nécessaires pour assurer des logements respectant a minima les normes de sécurité. Le professeur Paul Watt, spécialiste en études urbaines au département de géographie de l’université de Londres, rappelle à ce sujet un incendie fortement similaire qui avait ravagé en 2009 la tour Lakanal, dans le quartier de Camberwell.
« Je ne suis pas expert en équipement anti-incendie mais je sais que les recommandations indiquées lors des enquêtes à la suite de l’incendie Lakanal n’ont pas appliquées par le gouvernement. Des recommandations qui justement, été censées prévenir un futur incendie. »
Quand le luxe côtoie la misère, la ville devient un espace d’exclusion
Située dans le district royal de Kensington et Chelsea, la tour Grenfell était une enclave de pauvreté qui avait toujours fait tache dans le décor richissime de Notting Hill. Alors que le conseil d’arrondissement dispose d’importants revenus fiscaux, l’attention portée à l’entretien de la tour s’est toujours révélée déplorable.
La police de Londres a relevé le caractère hautement inflammable des matériaux isolants et des carreaux utilisés pour le revêtement de la tour. Selon un article du New York Times, l’utilisation de ce revêtement bon marché, en aluminium et en polyéthylène, est fortement déconseillée pour les bâtiments de plus de 10 mètres de haut (la tour Grenfell en faisait plus de 63). Aujourd’hui, plus de 600 tours en Angleterre seraient recouvertes de matériaux similaires.
« Le problème, ce n’est pas que différents groupes sociaux se côtoient, explique le Dr. Paul Watt, car « une ville est précisément censée rassembler différentes communautés sociales ou ethniques au même endroit »
« Le problème, c’est plutôt qu’il existe aujourd’hui un fossé astronomique en termes de revenu et de richesse entre les riches et les pauvres. Si les gens manifestent leur colère, c’est parce que la ville de Londres est en train de se transformer en espace d’exclusion. Elle n’inclut pas les classes populaires, ni les minorités ethniques, encore moins celles qui figurent au bas de l’échelle sociale. Ce n’est pas un espace de prospérité pour tout le monde. »
Le résultat de 37 ans de politiques néo-libérales ?
La responsabilité des autorités politiques repose essentiellement sur un manque crucial de logements sociaux à Londres, et un mauvais entretien de ce parc d’habitations. « Ça fait presque 40 ans que nous faisons face à une crise du logement », explique le Dr Watt. Le prix du loyer ne cesse d’augmenter et les biens immobiliers attirent une foule d’investisseurs qui acquièrent de luxueux appartements sans les habiter. Parallèlement, il y a une importante partie de la population qui peine à se loger faute de salaire adéquat.
« De 1945 aux années 1970, il y avait assez d’assistance sociale de la part de l’Etat pour permettre aux revenus modestes de se loger décemment. Mais depuis presque 40 ans, le Royaume-Uni enchaîne les politiques néo-libérales : on coupe les aides sociales alors qu’on aurait les moyens d’atténuer cette crise du logement. »
Selon le Dr. Watt, 55 000 foyers à Londres habitent actuellement dans des logement temporaires, ce qui correspond à environ 90 000 enfants dépourvus de logement décent. « Puisqu’il n’y a pas assez de logements sociaux, ces personnes se retrouvent condamnées à vivre dans des établissements qui ne respectent pas les normes de sécurité », déplore Paul Watt avant d’ajouter, « elles se retrouvent également à s’entasser dans de minuscules espaces ». Aujourd’hui, les logements sociaux sont gérés par des compagnies privées. La gestion immobilière de la tour Grenfell, par exemple, avait été remise à une société privée, la Kensington Chelsea Tenant Management Organisation (KCTMO).
« C’est ridicule de penser que le secteur privé parviendra à assurer les besoins des populations modestes. Ce qui intéresse ces sociétés, c’est de faire du profit. Or, pour maximiser le profit, on divise la propriété en plusieurs parcelles afin d’augmenter le nombre de locataires. C’est pour ça qu’on a aussi de graves problèmes de surpopulation dans les logements sociaux, et là encore, les standards de sécurité ne sont pas respectés. »
Si la précarité des logements sociaux a augmenté ces dernières années, c’est également à cause des réductions de budget ou de la création de taxes injustes, rappelle le professeur Watt. La « bedroom tax » par exemple vise essentiellement les familles modestes qui disposent d’une chambre supplémentaire. « Et pendant ce temps, les plus riches accumulent des chambres qu’ils n’utiliseront jamais. » Quant à l’incendie de Grenfell, notons qu’il y a trois ans, Boris Jonhson, ancien maire de Londres conservateur, fermait 10 casernes de pompiers et entraînait le licenciement de 552 pompiers.
Quelles solutions ?
« Il faut arrêter de détruire les logements sociaux existants, en créer davantage, et surtout, veiller à ce qu’ils respectent les standards de sécurité et de décence », indique Paul Watt, en insistant sur la responsabilité du gouvernement et des conseils d’arrondissements.
« On a également besoin d’une régulation des prix immobiliers afin d’offrir un minimum de stabilité aux locataires. Enfin, il faut qu’on re-négocie la question du logement social de façon beaucoup plus solide avec les développeurs privés. Dans l’idéal, ce serait au gouvernement, à des coopératives ou à des associations de fournir les logements sociaux. »
Dans l’immédiat, Theresa May a annoncé débloquer 5 millions de livres pour les survivants de Grenfell, et s’employer à leur fournir un nouveau logement aussi tôt que possible.
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