Après le succès triomphal de “After Hours”, Abel Tesfaye démarre l’année pop sur des chapeaux de roues avec “Dawn FM”, bande-son d’une radio fictive coproduite d’une main de maître par le génial Oneohtrix Point Never. Conviant Tyler, the Creator, Jim Carrey ou Quincy Jones, ce cinquième album oscille entre odyssée very disco et simulacre moroderien.
“Vous écoutez maintenant 103.5 Dawn FM. Vous avez été dans le noir pendant trop longtemps, il est temps de marcher dans la lumière et acceptez votre destin à bras ouverts. Effrayé·es ? Ne vous inquiétez pas, nous serons là pour vous tenir la main et vous guider à travers cette transition sans douleur. Mais quelle est l’urgence ? Détendez-vous et profitez d’une autre heure de musique commerciale sur 103.5 Dawn FM. Restez à l’écoute.”
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Introduit par nul autre que Jim Carrey – compagnon d’astronomie de The Weeknd si l’on en croit le communiqué de presse –, Dawn FM ouvre un nouveau chapitre de la carrière d’Abel Tesfaye, près de deux ans après le succès démesuré du scorsesien After Hours. Plus qu’une coquetterie asseyant la toute-puissance de l’auteur de Blinding Lights sur la pop mondiale, ce programme introductif porté par la voix de l’interprète de The Mask contient en germe toute l’ambition et les dichotomies au cœur de Dawn FM.
Disque mutant
En débauchant Jim Carrey, acteur métamorphe en puissance (The Mask, Le Grinch, Le Drôle de Noël de Scrooge) et adepte du simulacre et de la mise en abyme (Man On The Moon, The Truman Show, Eternal Sunshine of The Spotless Mind, Kidding), The Weeknd livre la première note d’intention de Dawn FM. Pour mettre en son cette émission de radio fictive, il devra muter à de multiples reprises et se jouer de son canevas pop référentiel dans un grand fatras méta-musical – jusqu’à interpréter lui-même les jingles de la station 103.5 Dawn FM.
Dans cet exercice périlleux pour une popstar de sa trempe, Abel Tesfaye s’est trouvé un camarade de jeu idéal : Daniel Lopatin, alias Oneohtrix Point Never, notamment compositeur de la bande originale d’Uncut Gems dans lequel The Weeknd a fait ses premiers pas d’acteur, producteur de l’un des tout meilleurs morceaux d‘After Hours, Scared to Live, et directeur musical du show clinquant du Canadien lors de la mi-temps du Super Bowl l’année dernière.
Partageant la même fascination pour la musique pop et le médium radiophonique (le dernier album en date du producteur américain, Magic Oneohtrix Point Never, s’envisageait déjà comme une rêverie émulant la sensation d’écoute prolongée d’une station de radio), Tesfaye et Lopatin troussent avec un Dawn FM un disque éhontément pop qui contient pourtant quelques-uns des moments les plus aventureux de la discographie de The Weeknd depuis la parution de son inaugural Trilogy il y a dix ans.
Ce sont d’ailleurs deux petits mots, lâchés l’air de rien dans le monologue introductif de Jim Carrey, qui cristallisent à merveille cette ambivalence à l’œuvre sur Dawn FM : “musique commerciale”. Ou comment la mise en abyme permise par la radio permet de réinjecter du sens au mercantilisme inhérent à la musique pop.
Interférence(s)
À la manière d’un Random Access Memories de poche, The Weeknd emboîte le pas aux Daft Punk – avec qui il a collaboré sur Starboy avec le succès qu’on lui connaît –, en convoquant à la fois ses héros comme Quincy Jones (A Tale By Quincy, très Giorgio By Moroder) ou Lil Wayne (formidable en amant éploré sur I Heard You Married) et ses contemporains Tyler, The Creator (Here We Go… Again, slow jam assumé et grand moment du disque) ou même les fossoyeurs de la pop Calvin Harris et Swedish House Mafia – ici plutôt inspirés par cette grande entreprise radiophonique (I Heard You Married, Sacrifice…).
Mais là où Thomas Bangalter et Guy-Man de Homem-Christo réussissaient un sidérant tour de force en démultipliant les collaborations, The Weeknd – engoncé dans son storytelling et son costume d’amant torturé et toxique – peine par instants à recréer la même émulation et le même sentiment d’abandon.
Pourtant, malgré une cohérence un poil monolithique (qu’il s’agisse de l’influence disco ou de la voix de The Weeknd) et malvenue compte tenu de la promesse du disque, Dawn FM parvient à captiver par une sorte d’étrangeté, un grain de sable dans la machinerie ronflante et pompière d’After Hours. Une bulle dans laquelle le single Take My Breath, parodie de Moroder, semble trouver tout son sens, où The Weeknd peut abandonner son falsetto distinctif – et parfois irritant – dès le second morceau, enchaîner coup sur coup deux ballades r’n’b sublimes et inattendues dans son sombre univers (Out Of Time, Here We Go… Again), laisser Oneohtrix Point Never s’amuser avec un interlude publicitaire (Every Angel is Terrifying), name-dropper R.E.M. ou se fendre d’un morceau qui tient autant du fétichisme de Chromatics que de la B.O. de L’Histoire sans fin (Less Than Zero).
C’est finalement dans la réécoute du Magic Oneohtrix Point Never (2020), qui semble avoir bercé le processus créatif de ce cinquième album de The Weeknd, que se niche la subtilité de Dawn FM. En parasitant le disque à la manière d’une fréquence radio qu’on aurait du mal à capter, l’architecte Daniel Lopatin pourrait bien être le remède au boursouflement qui guettait la pop de The Weeknd, substituant au charme du papier glacé la beauté des interférences.
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