Comme tous les ans, le jeu vidéo officiel de la Grande Boucle sort juste à temps pour se préparer à la vraie course. Comme tous les ans aussi, il se révèle meilleur que l’année d’avant. L’une de ses grandes qualités est de permettre aux joueurs d’adapter l’expérience à leurs envies du moment ou leur penchants personnels. Tant qu’à faire, osons la rendre extrême.
Enfin, n’être personne. Personne ou presque, juste une silhouette parmi les autres – les 197 autres. Celle d’un coureur sans qualité particulière, un honnête équipier, un porteur d’eau au mieux, un boulet en montagne ou dans les contre-la-montre par équipe au pire. Tel est le destin possible de tout adepte du jeu officiel du Tour de France, développé chaque année, parallèlement à sa simulation plus « sérieuse » Pro Cycling Manager, par le studio francilien Cyanide et dont l’édition 2017 est sans doute la meilleure à ce jour – loin des séries ludiques qui déclinent avec le temps, celle-ci aurait plutôt tendance à se bonifier discrètement. Avec suffisamment d’entraînement, d’intelligence de course et de persévérance, il est envisageable de devenir un nouveau Christopher Froome (ou Miguel Indurain, ou Bernard Hinault, ou Eddy Merckx, à chacun ses références). Mais rien ne dit que ce soit la façon la plus enrichissante de pratiquer ce Tour de France.
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Une course cycliste, c’est toujours une étrange articulation entre l’individuel et le collectif. Une affaire de grands sacrifices et de petites trahisons (et réciproquement), d’ombre et de lumière, de nobles rouleurs-grimpeurs plus ou moins tyranniques et de prolos de la pédale qui triment à leur service. A tout cela, le jeu se frotte curieusement en nous abandonnant les commandes dans des proportions rares. Vous êtes mal parti dans cette étape de plaine pour avoir mal dosé vos efforts lors d’une attaque douloureusement prématurée ? Aucun problème : vous êtes libre de changer de coureur à tout moment et d’abandonner celui dont vous avez causé la déroute pour en choisir un autre de son (c’est-à-dire votre) équipe. Et vous voilà relancé, et même en bonne position dans une prometteuse échappée.
A la tête d’une équipe
Le principe est que vous n’êtes pas en charge d’un cycliste unique mais de toute une équipe, mais sans tenir pour autant le rôle de son directeur sportif. Sauf qu’évidemment, en course, vous ne dirigez qu’un coureur à la fois. D’où une expérience à deux niveaux, potentiellement perturbante (parfois, on culpabilise un peu d’abandonner ce pauvre gars dont, après tout, la défaillance est de notre faute) mais, en partie pour cette raison même, tout à fait passionnante. Jouer au Tour de France 2017, cela peut revenir à choisir la solution de facilité, à faire « avance rapide » tel un téléspectateur impatient sur les moments de chaque étape sans enjeu flagrant – c’est possible – et, changé en zappeur de coureurs, tourner le dos sans état d’âme à ceux qui ne vont pas assez vite pour aller chercher les honneurs en « devenant » brusquement quelqu’un d’autre. Et puis au pire, si on a la flemme, il y a toujours le mode « étape rapide ». Dans ce cas, on ne ne court pas ladite étape. On attend juste qu’elle se termine. Après tout, pourquoi se gâcher la vie ?
La route nous appelle
Et puis non. Osons l’anonymat et la souffrance, les côtes trop raides et les étapes qui n’en finissent pas. Osons finir 150e et ramer jusqu’à cet état où l’on ne se demande même plus pourquoi diable on fait ça. La route nous appelle, les paysages nous absorbent et c’est comme si, en attendant l’arrivée, plus rien d’autre ne comptait. Si on se concentre et/ou s’oublie suffisamment, le jeu démontre des qualités hypnotiques qui le rapprochent d’un American Truck Simulator – mais en plus criard et accompagné –, surtout quand on enclenche le pilotage automatique (qui ne s’appelle pas vraiment comme ça) en se collant dans la roue d’un autre coureur – il suffit de laisser une touche de la manette enfoncée. Surtout, même quand il flirte avec la monotonie, même quand les seigneurs de la route nous laissent loin derrière au classement, il y a toujours de l’espoir, toujours quelque chose à « gagner » dans Le Tour de France 2017. Ce peut être un sprint intermédiaire où l’on tentera de grappiller quelques points pour le (néanmoins inaccessible) maillot vert. Mais aussi, plus simplement, un objectif qu’on se fixe à soi-même : réussir une belle attaque, mener la chasse derrière des coureurs échappés ou tout à fait autre chose.
Quand elles nous appartiennent vraiment, les petites victoires en valent bien de plus officiellement grandes. Seul dans la foule (dans le peloton), rien n’est impossible. C’est entre je et moi. Bien sûr, la vérité du Tour de France 2017 est dans le rapport entre ces deux pratiques extrêmes et, à bien y réfléchir, pas moins expérimentales l’une que l’autre. Elle réside, plus exactement, dans l’espace ludique vaste et joliment malléable qui s’ouvre entre elles et où l’on peut aussi choisir de jouer centriste et appliqué – de jouer sérieux. Au risque de rater ce qu’il y a de mieux.
Le Tour de France 2017 (Cyanide / Focus Home Interactive), sur PS4 et Xbox One, environ 50€
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