Récit de ces jours qui ont vu les habitants de la capitale de l’insurrection fuir devant les troupes de Kadhafi, puis revenir après l’intervention de l’aviation française.
Bombardée et envahie par les troupes loyalistes, samedi matin, la capitale de l’insurrection libyenne a été prise de panique. Des centaines de familles ont sauté dans leurs voitures pour s’enfuir vers l’est. Mais lorsque les premiers avions français sont entrés dans le ciel libyen, les insurgés ont immédiatement repris confiance : ils se sentent maintenant en sécurité.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
“C’est fini, ils arrivent. Il faut partir tout de suite.”
Le visage crispé, la mine défaite et la mort dans l’âme, Ahmed plie rapidement bagage, en ce samedi matin. Pour la première fois depuis un mois, il a posé sa kalachnikov, et commence à charger sa voiture. En écoutant, vendredi soir, sur Al-Jazeera, les rumeurs annonçant que les troupes de Kadhafi marchaient sur Benghazi, cet insurgé de 42 ans et ses amis ne voulaient pas y croire. Ils ne pouvaient pas y croire.
“Impossible !, claironnaient-ils tous devant la télévision, jamais ils n’entreront chez nous : on les attend de pied ferme ! L’ONU a voté la zone d’exclusion aérienne, c’est plié, Mouammar Kadhafi ne peut plus rien faire !”
Pourtant, force est de se rendre à l’évidence : en ce début de journée, samedi, les chars de Tripoli sont bel et bien entrés dans Benghazi. En dépit des ultimatums d’Obama et de Sarkozy, des promesses du chef d’Etat libyen s’engageant sur l’honneur à respecter un cessez-le-feu et des déclarations solennelles de son vice-ministre des Affaires étrangères, assurant que Tripoli n’avait aucunement l’intention d’envahir la capitale de l’insurrection.
Depuis le centre-ville, on peut entendre les tanks tirer leurs premiers obus dans le quartier de Gar Younis, près de l’université. La colonne de blindés, de lance-roquettes, de voitures et de véhicules militaires kadhafistes qui les suit n’est plus qu’à quelques kilomètres derrière eux.
Seïf al-Islam, le fils du dictateur, ne mentait donc pas lors de sa dernière allocution télévisée : ce n’est vraiment plus qu’une question d’heures pour que la ville retombe sous la coupe de Tripoli. Depuis le milieu de la nuit, déjà, Benghazi est bombardée par les avions de chasse de Kadhafi. Les premières explosions, vers 2 heures du matin, ont déchiré le silence et la quiétude de la ville endormie, réveillant en sursaut les habitants.
“Non, non ce n’est rien, se rassuraient-ils, ce ne sont que les combats qui se poursuivent sur la route d’Ajdabaia.”
Mais vers 7 h 30 du matin, c’est un pilonnage en règle qui commence : bombes, roquettes et tirs de mortier se succèdent sans répit, sous les yeux médusés des habitants, explosant à cinq ou six kilomètres à peine du centre-ville, incendiant des immeubles d’habitation en bordure de Benghazi. Cette fois, plus question de se voiler la face : les mercenaires et les soldats fidèles au régime ne sont pas simplement sur la route entre Ajdabaia et Benghazi ; ils sont aux portes de la ville. En quelques minutes à peine, la nouvelle se répand comme une traînée de poudre.
Terrifiées par les massacres et les représailles sanglantes promises par Kadhafi, des centaines de familles se jettent sur leurs voitures, se ruent sur les stations-service et se précipitent vers l’entrée nord-est de la ville pour fuir, à tombeau ouvert, vers la frontière égyptienne. Dans chaque village, sur la route, toute la population est sur le pont. Les uns jettent à la volée des bouteilles d’eau, des rations de combat et un peu d’argent dans les voitures des fuyards qui n’ont même pas eu le temps d’emporter le moindre bagage ; les autres, kalachnikovs à moitié vide en bandoulière, montent dans les rares voitures qui partent en sens inverse, pour rejoindre la ligne de front.
A cent kilomètres de Benghazi, la petite ville de Marj voit s’arrêter les voitures en fuite vers 13 heures. “Quelles sont les nouvelles ?”, hurlent les conducteurs, à la cantonnade. Mais personne n’en a : l’état désastreux des réseaux de communication téléphonique libyens et la fuite des journalistes, dont les têtes sont mises à prix par le régime et qui ne pouvaient pas risquer de rester à Benghazi, ne permettent pas de savoir ce qu’il se passe. Au milieu de la pagaille, pourtant, un cri s’élève : “Ils ont pris les tanks ! Ils ont pris les tanks !”, s’époumonne Mohamed.
Des dizaines de conducteurs se ruent sur lui : “Qui a pris quoi ? Comment et où ?”, s’énervent-ils. Parvenant enfin à se calmer, Mohamed tente de répondre à la centaine de questions qui l’assaillent : “Les insurgés, les rebelles, nous ! Ils ont pris les tanks de Kadhafi, les soldats de Tripoli sont en fuite, Benghazi n’est pas tombée !” Sceptiques, mais désireux d’y croire, une bonne partie des fuyards décide de rester à Marj, le temps d’obtenir plus d’informations.
Tous attendent au bord de la route, accoudés à leurs voitures, avec quelques bouteilles d’eau et beaucoup de cigarettes, quand soudain Mohamed pousse son voisin du coude et lui montre le ciel.
“Tu vois ça ? Ce sont des avions français. Regarde : ce sont des Mirage !” “N’importe quoi, répond l’autre, tu ne peux pas le savoir, ils volent trop haut.”
La confirmation arrive pourtant : des Mirage et des Rafale ont décollé de Haute-Marne et survolent maintenant le ciel libyen. De toutes les maisons au bord de la route, une immense clameur de joie s’élève vers le ciel. Tôt le lendemain matin, les premières voitures repartent vers Benghazi. Après deux heures de route, elles arrivent enfin dans la capitale de l’insurrection, qu’elles traversent, lentement. Les conducteurs sont nerveux : “Pourquoi n’y a-t-il personne dans les rues ? Pourquoi est-ce si désert ?”, se demandent-ils les uns aux autres.
Traversant prudemment le centre-ville, quelques habitants s’approchent de l’entrée sud-ouest, quand soudain, au détour d’un virage, un immense embouteillage les arrête : des centaines de véhicules pleins de curieux, de femmes et d’enfants, se dirigent tout droit vers la zone des combats de la veille. “Que se passe-t-il ?”, demandent les conducteurs, interloqués.
“Les Français ont bombardé ! Ils ont pilonné les colonnes de Kadhafi !”, répondent les habitants des quartiers sud.
A trente kilomètres au sud-ouest de Benghazi, en effet, une scène apocalyptique s’offre aux yeux de tous. Plus de quarante véhicules, tanks, bus, blindés et 4 x 4 gisent dans un champ, entièrement carbonisés. Sous les décombres, des dizaines de cadavres de mercenaires africains attendent d’être ramassés. Bombardant les positions kadhafistes entre 6 h 30 et 8 heures, dimanche matin, les bombardiers français ont mis en déroute les troupes envoyées par Tripoli.
Sur plusieurs dizaines de kilomètres autour de la ville, les habitants de Benghazi laissent éclater leur joie. Salem, un ingénieur de 38 ans, contemple le champ de bataille. “Je n’ai jamais été aussi heureux de voir arriver des Français”, murmure-t-il dans un sourire. Ils nous ont sauvé la vie.” Les larmes commencent à couler sur ses joues. “Ma femme est enceinte, dit-il en riant à travers ses larmes. Aujourd’hui, j’ai trouvé le prénom de mon futur fils : il s’appellera Sarkozy.”
Marie-Lys Lubrano, à Benghazi
{"type":"Banniere-Basse"}