Auteur de Né un 4 juillet, JFK ou récemment Snowden, Oliver Stone a pu rencontrer Vladimir Poutine régulièrement durant deux ans. Il en a tiré une série documentaire de quatre épisodes, diffusée fin juin sur France 3. Retour avec le cinéaste sur l’ambiance et le contenu de ces entretiens exceptionnels.
C’est un objet à la fois étrange et fascinant. Durant deux ans, le cinéaste Oliver Stone a eu le loisir de converser durant près de cinquante heures avec Vladimir Poutine. Diffusé sur Showtime aux Etats-Unis et sur France 3 dans nos contrées, ce nouveau documentaire revient sur le parcours d’un homme à la tête de la Russie depuis le début des années 2000.
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Ce film au long cours qui le suit de sa datcha à ses diverses séances sportives (du hockey au judo…) permet d’explorer les multiples facettes d’un homme politique complexe. Le documentaire s’efforce de nous sortir de notre prisme occidental pour comprendre les positions russes sur des sujets aussi brûlants que la Syrie, la crise ukrainienne ou bien encore la guerre économique et diplomatique avec les Etats-Unis.
Au cours d’un de leurs échanges, Vladimir Poutine confie par exemple au cinéaste qu’il avait suggéré à Bill Clinton de faire entrer la Russie dans l’Otan. Le président américain n’y semblait pas hostile mais la délégation américaine s’est liquéfiée sur place. Comme dans ses précédents films sur Fidel Castro ou Edward Snowden, Oliver Stone se sert de Poutine pour interroger les ressorts de l’impérialisme américain. Avec le risque, semble-t-il consenti, de se faire lui-même instrumentaliser par l’homme fort du Kremlin.
Comment vous est venue l’idée d’interviewer Vladimir Poutine ?
Oliver Stone – C’est parti de Snowden, mon dernier long métrage. Je travaillais sur le film en Allemagne et j’ai dû me rendre plusieurs fois à Moscou pour rencontrer Edward Snowden. Sur place, on m’a proposé de rencontrer Vladimir Poutine et je trouvais ça intéressant d’évoquer le cas Snowden avec lui. Nos discussions, que j’ai tout de suite trouvées très ouvertes, ont commencé comme cela. Je sais à quel point Vladimir Poutine est haï aux Etats-Unis, et je crois que c’est ça qui m’a donné la curiosité nécessaire pour le connaître un peu plus (rires).
Dès le début du documentaire, vous pointez la méconnaissance de l’Occident vis-à-vis de l’histoire russe. ça a été un leitmotiv ?
Oui, les gens étudient l’histoire de la Russie à l’école, mais tout cela s’arrête souvent à la fin de l’URSS. Il y a une vraie méconnaissance des années Gorbatchev, Eltsine et Poutine. Aux Etats-Unis, la couverture médiatique accordée à la Russie est de nature uniquement idéologique, l’histoire du pays est mise de côté. Pour ma part, j’ai commencé à aller à Moscou dans les années 1980, sous Brejnev (j’écrivais alors un scénario sur les dissidents), puis j’y suis revenu dans les années 1990, où j’ai rencontré Gorbatchev. C’est un pays qui m’intéresse – au-delà de la figure de Poutine – mais je ne prétends pas être un spécialiste ni un insider.
Pourquoi selon vous Vladimir Poutine a-t-il accepté de vous accorder autant de temps ? Il connaissait votre travail ?
Demandez-lui donc (rires). Plus sérieusement, je sais qu’il connaissait mon travail et qu’il avait vu quelques épisodes de ma série documentaire sur l’histoire cachée des Etats-Unis. Il parle très bien allemand et fait bien plus de choses avec les médias germaniques qu’il n’en fait avec les médias anglo-saxons. C’était peut-être l’occasion pour lui, je ne sais pas… Les premières interviews se sont bien déroulées, je pense qu’il a pris confiance, moi aussi, et nous n’avons rien calculé. La discussion et la relation se sont construites au fil du temps.
Est-ce que vous n’avez pas aussi utilisé Poutine pour interroger les ressorts de l’impérialisme américain ?
Nous avons parlé naturellement de l’Amérique mais il a toujours pris beaucoup de précautions sur le sujet, en l’abordant de façon très technique. Nous avons commencé par parler de l’Otan, puis de l’annonce en 2001 par les USA de la sortie du traité ABM sur la limitation des armes stratégiques, ou encore du soutien américain accordé à certaines organisations terroristes jihadistes dans la région du Caucase.
Et progressivement, nous avons abordé l’Ukraine, la Syrie, et le rôle qu’y jouent les Etats-Unis mais aussi la Russie. Monsieur Poutine a une vision précise de ce que sont les Etats-Unis, de leurs dissensions internes, et il les considère toujours, malgré certaines divergences évidentes, comme des “partenaires”. C’est d’ailleurs le mot qu’il emploie dans le film.
Pensez-vous qu’un risque d’escalade armée est encore possible aujourd’hui ?
L’élection de Donald Trump a changé la donne, évidemment. Trump n’est pas Obama. Mais je pense aussi que Vladimir Poutine est quelqu’un qui souhaite, en direction des USA tout du moins, privilégier le dialogue.
Dans le documentaire, vous semblez tomber d’accord avec Poutine sur le fait que l’objectif des Etats-Unis est de détruire l’économie russe…
Je lui demande quel est selon lui l’objectif de Wall Street, notamment depuis les années Eltsine et la montée des oligarques en Russie. L’ouverture de la Russie à l’économie de marché aurait pu être une catastrophe et les Etats-Unis en étaient très conscients. Quand on voit ce qui s’est passé en Ukraine, la prise de pouvoir des différentes mafias, nous en avons l’illustration. Poutine a, je crois, su stabiliser l’économie russe, en la protégeant de certaines dérives et en encadrant les oligarques.
A plusieurs reprises, vous brossez Poutine dans le sens du poil. Vous dites “La Russie peut être fière de vous”, vous valorisez son bilan économique et politique. Etait-ce une sorte de méthodologie ?
Je crois que le ton de l’entretien se devait d’être cordial et soft pour que la discussion puisse être constructive. Cela n’a rien à voir avec de la méthodologie ni même de la complaisance.
Devant vos caméras, il tient un discours beaucoup plus apaisé sur l’homosexualité que la réalité à laquelle les associations sont confrontées sur le terrain – on pense notamment à la Tchétchénie, où des persécutions de masse ont cours. Regrettez-vous de ne pas l’avoir relancé davantage sur ce sujet ?
A l’époque où nous avons filmé ces entretiens, les persécutions en Tchétchénie n’étaient pas encore ce qu’elles sont aujourd’hui. Lorsque nous évoquons la question de l’homosexualité en Russie, il s’agit de la Russie au sens strict, et évidemment d’un pays qui a des idées très traditionalistes sur la question, voire réactionnaires, il faut l’avouer. Mais on ne peut pas rapprocher ce qu’il dit dans le film de ce qui se passe en Tchétchénie aujourd’hui.
Dans l’épisode 4, vous dites “Où est mon acteur principal ?” On a l’impression que vous le dirigez comme Kevin Costner dans JFK. Quelle est la frontière entre votre docu et le cinéma ?
Il arrive que mes documentaires ressemblent à des fictions (rires). Je dois dire que oui, parfois, avec cette envie que les entretiens soient réussis, j’avais un peu tendance à donner des conseils et à considérer monsieur Poutine comme l’acteur de ce film. Poutine n’a pas le charisme de Castro, ni même de Chavez. Il n’en impose pas naturellement, il n’a pas un langage gestuel très impressionnant, il a de petits yeux, a tendance à rentrer dans les détails. Il fallait donc un peu l’aider ou, parfois, le diriger d’une certaine façon. Mais je pense qu’au final, il est assez malin pour ne pas se laisser trop “diriger” (rires).
Au moment de vous quitter, Poutine vous dit : “Avez-vous déjà été battu ?” et ajoute “parce qu’avec ce que vous avez fait avec moi, vous allez souffrir”. Craignez-vous d’être ostracisé dans votre pays après ce film ? Avez-vous parfois eu le sentiment que Poutine tentait de se servir de vous ?
Poutine a beaucoup d’expérience et il sait à quel point il n’est pas raisonnable, en Occident, médiatiquement parlant, d’essayer de prendre en compte la parole et la réalité russes. Il a donc tenu, et je pense qu’il savait pourquoi, à me mettre en garde contre les réactions qu’entraînerait ce documentaire, notamment aux Etats-Unis. J’assume tout cela.
Conversations avec Mr Poutine série documentaire d’Oliver Stone, 4 x 60 min, le 26 juin à 20 h 55 (deux parties), et les 28 et 29 juin à 23 h 35, France 3
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