Précurseurs, le jeu sorti en 2015 et son prequel de 2017, qui apportèrent inclusivité et sensibilité à l’univers vidéoludique, sont aujourd’hui réédités pour une expérience encore plus riche en émotions.
Au mois d’août 2014, une vague réactionnaire déferlait sur le monde du jeu vidéo, et plus précisément sur ceux, et d’abord celles, qui avaient le malheur de ne pas coller au stéréotype du gamer mâle, blanc et amateur de jeux brutaux – on caricature à peine. Le mouvement se baptisa Gamergate, et certain·es voient en lui un phénomène à l’origine de l’essor de l’alt-right américaine qui allait mener Donald Trump jusqu’à la Maison Blanche.
Anti-Gamergate
C’est aussi en août 2014 que, d’un communiqué presque discret, Square Enix annonçait le nouveau jeu du studio parisien Dontnod dont le premier épisode (sur cinq) allait sortir le 30 janvier 2015 et qui aurait tout d’un antidote au poison Gamergate.
Sept ans plus tard, Life Is Strange revient accompagné de son prequel Before the Storm (2017) dans une version remasterisée qui offre un bon prétexte pour s’y replonger. Life Is Strange, donc, c’est tout ce que le Gamergate rejetait. Un jeu qui met en vedette des filles ayant en plus tendance à s’aimer entre elles, qui prend son temps et fuit le spectaculaire.
Un jeu fièrement sentimental, plutôt arty (ce dont témoigne aussi la présence à la BO de Jonathan Morali, chanteur de Syd Matters) et profondément politique dans sa représentation d’une petite ville américaine (pas si éloignée de Twin Peaks par ailleurs).
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Mais l’épopée aussi déchirante que réconfortante de Maxine et Chloe ne surgissait pas de nulle part, et il est même assez facile d’établir sa généalogie : une dose de walking simulator sensible (Gone Home, disons), une réactualisation du jeu d’aventures d’antan dans le sillage du Walking Dead de Telltale Games et quelque chose du teen/college movie indépendant américain.
Avec en prime, par la possibilité offerte à Max de remonter le temps pour corriger ce qui a été mal fait, une manière subtile de s’appuyer sur les spécificités mêmes du médium vidéoludique (qui permet de relancer une partie, d’avoir plusieurs vies…).
Riche héritage
Jeu devenu culte presque instantanément – le terme, souvent galvaudé, se justifie ici pleinement –, Life Is Strange a eu de beaux héritiers : une suite en 2018-2019, deux jeux cousins toujours signés Dontnod en 2020, Twin Mirror et Tell Me Why, puis, il y a quelques mois, un épatant spin-off, True Colors, conçu par les Américain·es de Deck Nine.
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Des jeux qui parlent de ce qui se passe dans le monde autant qu’à l’intérieur de nous, de la jeunesse, de ses désirs et de ses craintes, des familles, d’immigration, de transidentité, de la classe ouvrière, de musique, de la couleur du ciel, de la neige, du vent. Parfois, on jurerait entendre son écho dans un autre jeu, gros ou petit, mais c’est peut-être juste l’air du temps. Que Life Is Strange a su saisir et, de ses voix aussi multiples que diverses, réinterpréter magnifiquement.
Life Is Strange (Dontnod/Deck Nine Games/Square Enix) Sur Switch, PS4, PS5, Xbox One, Xbox Series X/S, Windows et Stadia, , environ 40€. Disponible le 1er février.