La perspective d’une programmation entièrement constituée de films produits par Netflix a provoqué la colère de la Société des réalisateurs de films, qui reproche aux deux institutions de jouer “un jeu dangereux” avec le géant du streaming.
L’initiative avait soulevé un tollé en octobre dernier, lorsque l’idée d’un “festival Netflix” organisé dans plusieurs salles art & essai partout en France avait été évoquée : les syndicats de distributeurs avaient pointé l’attitude de Netflix vis-à-vis de ces salles, devenues selon eux une simple vitrine promotionnelle pour la plateforme.
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Après plusieurs jours d’hostilités, il a été décidé que la Cinémathèque et l’Institut Lumière seraient les deux seuls lieux qui accueilleraient l’événement. L’Institut Lumière, dirigé par Thierry Frémeaux, a ensuite déclaré dans un communiqué présentant cette programmation spéciale – des films inédits ainsi qu’une rétrospective – avoir “[saisi] ce désir de cinéma et l’opportunité de montrer ces films” à un large public.
La SRF s’inquiète
Mais la Société des réalisateurs de films, dans un communiqué publié le 7 décembre, met en garde sur l’organisation de cet événement Netflix : elle tient à rappeler “[qu’]en ces temps d’extrême fragilité des salles, de négociations interprofessionnelles déterminantes pour l’avenir, ce brouillage entre l’audiovisuel et le cinéma [est] inquiét[ant]”. En effet, la situation des salles est compromise depuis la pandémie et l’explosion des plateformes, ce que la législation ne parvient pas totalement à encadrer pour le moment.
L’argument principal avancé par la SRF, qui désapprouve l’implication des deux institutions françaises, est le suivant : comment ces lieux de cinéphilie et de défense d’un cinéma d’auteur indépendant peuvent-ils rendre hommage à une société qui fait défaut en matière de protection de ses auteurs et de liberté de création ? Enfin, la SRF tient à alerter sur l’avenir de la salle de cinéma, que ce genre d’événement ne vise pas à renforcer, mais bien à fragiliser, “utilis[ant] le prestige de la salle de cinéma pour mieux en détourner le public au profit de contenus exclusifs”.
Collaboration, pas soumission
Interrogée au sujet de ce communiqué qui relance le débat sur le programme Netflix, la Cinémathèque n’a pas souhaité s’exprimer au-delà du petit texte accompagnant sa programmation : on y comprend que la relation entre Netflix et la Cinémathèque remonte à 2018, au moment de la restauration de The Other Side Of The Wind d’Orson Welles. La collaboration des deux parties n’est donc pas le symbole d’une soumission de l’institution à la multinationale, mais celui d’un partage des ressources afin de célébrer des événements de cinéma uniques.
L’Institut Lumière, interrogé également sur le sujet, a accepté de répondre à nos questions : Denis Revirand, chargé de promotion et de la presse, a rappelé que les projections auront lieu dans les salles de l’Institut, un lieu de conservation du patrimoine, obéissant à une billetterie non commerciale. “Nous avons aussi des salles commerciales à Lyon : on n’a pas voulu s’engager sur ces salles-là parce qu’elles sont dédiées à soutenir les films de cinéma qui sortent en salles.”
L’Institut Lumière revendique donc le droit à montrer les films à un large public, non consommateur de streaming, et croit en une cohabitation possible entre les films de cinéma et ceux issus des plateformes. L’argument avancé par la SRF selon lequel cet événement s’inscrit dans un mouvement plus large de précarisation des auteurs est également démenti : “À l’Institut, on est un laboratoire. On montre tous les films, on est du côté des auteurs. […] On ne veut pas singulariser un film au prétexte qu’il a été produit par Netflix”, a tenu à répéter Denis Revirand. La programmation Netflix à la Cinémathèque française et à l’Institut Lumière a commencé le 7 décembre et se terminera lundi 14.
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