La Writers Guild of America, l’association des scénaristes américains, a classé les 101 meilleurs films depuis l’an 2000. Parmi eux, une grande majorité de films hollywoodiens oscarisés : où sont passés les autres ?
La guilde des scénaristes américains, célèbre pour avoir pris fait et cause pour ses artistes lors des grèves de 2007, avait déjà classé les 101 meilleurs films de tous les temps selon elle en 2006. Casablanca de Michael Curtiz, scénarisé par Julius J., Philip G. Epstein et Howard Koch, figurait sans grande surprise en haut de la liste, qui accordait une place quasi exclusive au cinéma américain – Orson Welles, Francis Ford Coppola, Billy Wilder…
La liste dévoilée ce 6 décembre par la WGA se concentre les films distribués à partir de 2000 : une façon de “célébrer les grands auteurs et récits de ces 21 dernières années, et d’étudier l’évolution et la diversification des scénarios de cinéma depuis le XXe siècle” selon Aaron Mendelsohn dans Deadline, qui ajoute : “Et puis cela crée des discussions – et des disputes.” Le problème, c’est que cette liste ressemble plutôt à un medley pro-Hollywood de films oscarisés, sans prise de risque ni curiosité.
Un manque de représentations
Première dispute, donc : l’absence totale de diversité en matière de représentations et d’identité des scénaristes. Dans les dix premiers titres, on compte les films The Social Network (réalisé par David Fincher, scénarisé par Aaron Sorkin) sorti en 2010, Eternal Sunshine of The Spotless Mind (du Français Michel Gondry, coscénarisé avec Charlie Kaufman et Pierre Bismuth) sorti en 2004, ou encore Inglourious Basterds de Quentin Tarantino, sorti en 2009. Tous passés par les Oscars dans les catégories du meilleur scénario ou de la meilleure adaptation – nommés ou vainqueurs.
À la première place figure tout de même le film horrifique – et métaphore du racisme aux États-Unis – Get Out, écrit et réalisé Jordan Peele en 2017. Hormis ce film, on a du mal à compter les récits non-masculins et non-blancs : Bridesmaids d’Annie Mumolo et Kristen Wiig (réalisé par Paul Feig) est une incursion comique et féminine intéressante mais plutôt solitaire, tandis que Barry Jenkins pour Moonlight (n°6), John Ridley pour 12 Years A Slave (n°54) et les scénaristes de Black Panther (n°57) font partie des seuls scénaristes africains-américains.
Quid du cinéma extra-étasunien ?
Parmi les films étrangers, on est surpris devant l’absence de curiosité de la guilde : pour représenter le cinéma français, c’est Amélie (n°3), titre américain du film de Jean-Pierre Jeunet, mythologie contemporaine d’un romantisme dépassé, qui s’y colle. Parasite (n°4), l’événement des Oscars 2020 qui avait remporté quatre statuettes dont celles du meilleur film et de la meilleure réalisation, se charge du cinéma est-asiatique, tandis que le cinéma japonais doit se contenter de la citation évidente du Voyage de Chihiro (n°67), oscarisé en 2003. Où sont passés Ang Lee et Wong Kar-Wai ?
Une séparation d’Asghar Farhadi est enfin la seule citation du Moyen-Orient, puisque sont absents l’Iranien Jafar Panahi, le Palestinien Elia Suleiman ou encore le Turc Nuri Bilge Ceylan. Comme si, pour obtenir une valeur aux yeux des institutions américaines, il fallait d’abord que les œuvres bénéficient d’un adoubement des célèbres Academy Awards. Les récits exo-américains ne semblent pas peser suffisamment dans la balance pour avoir droit de figurer dans le Panthéon des scénarios du XXIe siècle.
Le film de genre passé à la trappe
Globalement, les cinéastes américains qui bénéficient d’une validation du public et des institutions en ce début de siècle figurent dans le classement – Quentin Tarantino, Wes Anderson, les frères Coen, Paul Thomas Anderson… et les scénaristes Charlie Kaufman, Kenneth Lonergan, Woody Allen. Mais on aurait aimé voir apparaître également des films représentatifs du cinéma de genre indépendant, plus marginal certes, mais pas moins audacieux et surtout en pleine diversification depuis une vingtaine d’années.
Si, comme le souligne Deadline, c’est un film d’horreur qui décroche la première place du classement, le genre est sous-représenté dans la suite de la liste : l’étrange It Follows de David Robert Mitchell est absent, l’angoissant The Visit de M. Night Shyamalan aussi, tout comme l’apocalyptique Melancholia de Lars Von Trier ou le folklorique Midsommar d’Ari Aster, chacun incarnant une dimension du genre horrifique.
Pas de cinéma indépendant non plus dans ce classement très hollywoodien : les frères Safdie n’existent pas, ni même Noah Baumbach et encore moins Gus Van Sant, chacun incarnant un renouveau dans la forme des récits et les représentations qu’ils mettent en place. L’académisme de la guilde témoigne d’un manque de convictions vis-à-vis du cinéma à honorer et à défendre, au profit de critères convenus – reprendre la liste des Oscars des vingt dernières années.
La liste complète des 101 meilleurs scénarios du XXIe siècle est à découvrir ici.