C’est l’une des révélations post-punk de l’année, s’inscrivant dans une filiation toute new-yorkaise avec un album audacieux qui fait la part belle aux chants scandés et aux riffs de guitare acérés. Nous avons rencontré Gustaf à Lille, au lendemain de leur première date française et avant le clap de fin de leur tournée internationale.
Gustaf est une formation new-yorkaise qui commence à faire parler d’elle. Et à juste titre ! On y croise, pêle-mêle, l’énergie débordante et la fougue indomptable de la chanteuse Lydia Gammill, le guitariste et seul membre masculin du groupe Vram Kherlopian, la bassiste Tine Hill, Tarra Thiessen aux percussions, au chant et parfois derrière des instruments surprenants, et enfin la batteuse Melissa Lucciola.
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Après avoir été révélé sur de petites scènes de Brooklyn, le quintet délirant s’est très vite fait repérer par Beck et James Chance, avant de croiser la route du producteur Chris Coady (Yeah Yeah Yeahs, Beach House). Audio Drags for Ego Slubs, leur premier album sauvage et percutant, est paru le 1er octobre 2021 sur le label Royal Mountain Records (Mac DeMarco, Alvvays, Orville Peck).
S’y mêle une tempête rythmée de chants scandés, de riffs acérés et de solos de batterie bourdonnants, le tout s’inscrivant dans une filiation post-punk toute new-yorkaise. Véritables bêtes de scène, les cinq membres de la formation se sont produits le 18 novembre pour un live survolté sur la scène flottante (et remuée) de Petit Bain, à Paris, donnant à voir une performance qui vous plonge dans un état de transe profonde à chaque nouvelle date.
C’est au lendemain de ce concert électrisant que nous avons pu les intercepter à Lille, dans une loge en sous-sol, entourés de briques, de fromages et de vins français, avant la dernière date française de leur tournée.
Vous jouiez hier à Paris pour votre première date française, comment ça s’est passé ?
Lydia Gammill – La nuit dernière était incroyable. C’était cool parce que nous sommes sorti·es du van [ils jouaient à Berlin la veille, NDLR] et nous avons été accueilli·es par nos ami·es de New York, du groupe Sloppy Jane. Iels sont vraiment cool. Et notre performance d’hier à Paris était vraiment intense.
Comme pour beaucoup d’artistes, l’enregistrement d’Audio Drags for Ego Slobs a été perturbé par la pandémie. Comment avez-vous travaillé la mise en boîte de ce premier album ?
L.G. – Il a été impacté par le confinement dans la mesure où nous ne pouvions pas nous produire en concert et que nous avons finalement dû faire un disque. Je me rappelle le moment où ça s’est fait, nous étions en train de rouler le long de la côte californienne et Chris Coady nous a appelé·es et nous a dit : “Je n’ai pas entendu de chansons comme celles-ci depuis longtemps, nous allons travailler ensemble les gars.” Nous avons donc enregistré avec Chris, qui a quand même produit les Yeah Yeah Yeahs.
Nous nous sommes donc présenté·es chez lui, il vivait dans une de ces maisons incroyables dans les collines, au milieu de L.A. C’était drôle parce que nous étions avec lui quand le confinement a été annoncé. On a entendu les nouvelles et on plaisantait en disant qu’on devrait rester ici. Ensuite, on a travaillé avec Carlos Hernandez, qui a fait tout le disque à New York.
Vram Kherlopian – Avant on disait “oui” à tous les concerts. Et avec le confinement, ce n’était plus possible. C’était une mauvaise période pour tout le monde, mais on a essayé d’en tirer le meilleur ! On en a donc profité pour enregistrer de la bonne musique.
Concrètement, quelle histoire souhaitiez-vous raconter avec cet album ?
L.G. – Quelque chose de drôle et d’hyperbolique. Comme quelqu’un de plus contemplatif que moi, au fondement de la musique punk. C’était comme l’exploration d’une sorte de catharsis par le sang. On a essayé d’être théâtraux et sensibles en même temps. C’est aussi une question d’égo. Il y a des moments où les gens ne sont pas fiers de leurs émotions, mais ils les ressentent quand même très fortement. Nous avons essayé d’explorer cet état d’esprit.
À quoi ressemble la vie d’un·e musicien·e qui essaie de vivre de sa musique dans la Big City ?
V. K. – Nous avons beaucoup d’ami·es dans le milieu, des personnes créatives, donc c’est comme une grande communauté. Je me suis rendu compte il y a trois ou quatre ans que j’avais beaucoup été influencé par mes ami·es qui faisaient aussi de la musique et que cette énergie était importante pour moi. Donc je ne sais pas si je peux dire qu’il y a une sorte de “son de New York”, mais c’est vraiment cool de voir d’autres groupes et d’autres choses mises en œuvre par des personnes créatives qui influencent votre travail et votre musique.
Tine Hill – C’est aussi la raison pour laquelle nous sommes devenus un groupe. Nous avons tous beaucoup gravité autour de groupes new-yorkais ces dernières années et nous étions toujours en train de nous pousser les uns vers les autres.
L.G. – C’est aussi une façon de voir les gens, de faire partie d’une infrastructure sociale. À New York, les gens viennent aux concerts et disent des choses comme “Vous êtes dans un groupe, c’est cool.” On en oublie même parfois que les gens peuvent faire d’autres choses [rires].
Lydia, sur Mine, l’ouverture de l’album, tu chantes : “Vous dites que je suis beaucoup trop vieille/pour être encore lo-fi…” L’autodérision, c’est important pour vous ?
L.G. – Je pense qu’il est important de ne pas se prendre trop au sérieux. Mais qu’il est aussi important de ne pas trop être soi-même. C’est une question d’équilibre. C’est mieux d’essayer de rire de toute la vérité. Personnellement, les choses me parlent plus si elles sont un peu drôles, même si j’ai aussi dû apprendre à rester sérieuse.
La conscience de soi implique parfois de se déprécier, mais cela ne signifie pas qu’il faille toujours le faire. Se moquer de soi est important pour être épanoui. Si vous prenez les choses trop au sérieux, ce n’est pas bon.
En lien avec cette notion de “sérieux”, comment décririez-vous votre rapport à l’improvisation ?
L.G. – Ce qui est vraiment amusant dans nos concerts et peut parfois être frustrant dans notre processus d’enregistrement, c’est que j’aime toujours explorer de nouvelles subtilités ou de nouvelles versions de quelque chose. Notre dernier guitariste était également obsédé par le simple fait de jouer les mêmes choses un grand nombre de fois. Le plus important, c’est que ce qui se passe en live, devant les gens, on veut que ce soit authentique. Il faut analyser et lire l’énergie de la salle et construire lentement quelque chose ensemble, avec les membres du groupe et avec le public.
Parfois, cela signifie que vous vous éloignez de ce que vous avez enregistré. Il s’agit simplement de trouver le bon équilibre et d’essayer de faire de son mieux. C’est bien aussi de se montrer à un public, parce que nous sommes aussi confiant·es dans ce que nous faisons. Imaginer quelque chose de nouveau, c’est toujours excitant. Les erreurs sur scène sont la plupart du temps excitantes, pas effrayantes.
Tarra, tu amènes avec toi sur scène une multitude de petits objets. Comment en es-tu arrivée à jouer avec ce petit cochon en plastique ?
Tarra Thiessen – J’ai trouvé ce cochon dans une station-service sur la route d’un de nos concerts et il m’a procuré beaucoup de joie.
T.H. – Tara a toujours été douée pour collectionner des jouets et des trucs. Et les gens lui donnent aussi beaucoup de choses. Un jour, nous étions à L.A. et nous faisions la fête dans un appartement que nous louions, et un garçon a donné un jouet à Tara juste en écoutant notre musique par la fenêtre. Il nous suit partout en tournée depuis !
La scène semble être votre terrain de jeu favori. Comment avez-vous envisagé l’enregistrement en studio de cet album ?
L.G. – Nous devions garder la même énergie que celle que nous avons sur scène. Il s’agissait de transmettre cette “énergie live” sur un disque. Nous avons fait beaucoup de jours d’enregistrement avec tout le monde et nous avons dû affiner chacune de nos créations. On a essayé de faire ça d’une manière amusante.
Quelle était finalement votre intention derrière Audio Drags for Ego Slobs ?
V.K. – C’est une musique amusante sur laquelle on peut danser. Pour moi, c’est une des choses les plus importantes, c’est bien si ça te fait bouger même si tu ne comprends pas. C’est comme la drum and bass et ses fondements, j’espère que les gens ressentent la même chose avec notre musique.
L’autre idée, c’est d’y ajouter une sorte de folie et que les gens puissent écouter notre musique en essayant d’en tirer un sens. D’une certaine manière, je pense que les gens peuvent avoir leur propre interprétation, même s’il y a une intention derrière. Pour moi, c’est toujours la musique qui prime. Si elle fait bouger les fesses, c’est qu’elle est bonne.
Une question me trotte dans la tête depuis le début de l’interview : pourquoi Gustaf ?
L.G. – On avait quelques dates bookées et il nous fallait un nom. J’avais quelques règles : il devait être inférieur à cinq syllabes et devait pouvoir être à la fois une personne et un groupe, parce qu’on ne savait pas si on allait toujours jouer ensemble. Et il fallait que ce soit facile à trouver sur Google.
On avait différentes options et j’avais dans mon appartement un poster de l’empereur Gustave III (qui n’était autre que le roi de Norvège et le grand-duc de Finlande à la fin du XVIIIe siècle). Un soir, aux alentours de minuit, j’ai trouvé cool de garder ce nom, facile à googler et à comprendre. Le type avait été anobli par la noblesse et il était bisexuel, on a trouvé ça cool.
Dans la musique comme dans votre vie, comment définiriez-vous vos inspirations ?
V.K. – Pour la guitare, je ne sais pas si cela correspond à ce que Gustaf aime, mais j’aime les guitaristes qui jouent des trucs minimaux et qui se concentrent sur l’amélioration d’une chanson. Les deux meilleurs, si je devais les garder, seraient George Harrison des Beatles et Jonny Greenwood de Radiohead. J’ai toujours apprécié qu’ils fassent des choses sournoises et insidieuses. C’est de là que je tire en partie mon inspiration. Et aussi Lydia Gammill, bien sûr !
Et comment décririez-vous l’impact de ces références sur le groupe ?
V.K. – Nous avons dû nous accorder lors de nos premières sessions d’entraînement, parce qu’il est fréquent qu’un guitariste soit tenté de prendre le dessus sur le reste de la musique et du groupe. Mais nous avons rapidement trouvé un terrain d’entente. Je pense aussi qu’il est important d’utiliser des métaphores et de ne pas toujours rester dans les termes musicaux, sinon on s’enferme dans des cases. Avec des métaphores, on peut être plus créatif·ves, plus subtil·es et laisser parler l’idée qu’on a vraiment au fond du crâne.
Parmi tout ce que vous avez pu voir et vivre cette année, quel serait votre meilleur souvenir de 2021 ?
T.H. – [Jouer en première partie d’]IDLES ! Ils sont géniaux et leurs concerts sont vraiment inspirants. Ils ont quelque chose de puissant et sont d’excellents interprètes. Je pense que ce sont de très bons souvenirs.
Comment présente-t-on Gustaf à quelqu’un qui n’en a jamais entendu parlé ?
Melissa Lucciola : Nous sommes un groupe amusant qui ne se prend pas trop au sérieux et qui va vous faire passer un bon moment.
On a adoré votre musique en 2021, quelle sera celle de 2022 ?
M.L. – Nous avons déjà écrit quelques chansons et c’est un peu plus rock, plus dur je suppose. C’est plus rapide, plus incisif. Nous espérons que les gens les aimeront !
Propos recueillis par Nathan Merchadier.
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