Les excellents New-yorkais The Pains of Being Pure at Heart reviennent avec un nouvel album fin mars : Belong est en écoute intégrale, et le groupe en longue interview.
The Pains of Being Pure At Heart – Belong by Slumberland Records
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Que pensez-vous de votre premier album deux ans après sa sortie ?
Peggy Wang : On joue toujours les chansons du premier album sur scène. Quand il est sorti, je l’écoutais beaucoup juste parce que ça me paraissait complètement fou qu’on ait sorti un album.
Kip Berman : J’aime beaucoup les chansons du premier album, même si parfois je me dis qu’on aurait pu faire certaines choses différemment. En dehors de ça, l’album est tel qu’il est, et si les morceaux parlent aux gens, alors c’est le plus important pour moi. On est très heureux d’avoir eu la chance d’enregistrer un album et de le sortir sur Slumberland qui est le label qu’on écoutait le plus lorsqu’on était plus jeune. On est à la fois contents et surpris que des gens en dehors de notre cercle d’amis aient remarqué notre disque. ça me paraît toujours aussi dingue : on est à peine capable de jouer nos propres chansons à la bonne vitesse, alors penser que des gens l’ont écouté et ont réellement pensé que c’était de la musique me fait dire « wow, merci ».
Peggy : J’étais très curieuse de voir la réaction que ces gens allaient avoir face aux quelques singles qu’on a déjà extrait de notre second album. Je me demandais s’ils allaient se dire qu’on avait changé, mais je n’ai pas vu de tels commentaires pour l’instant. Peut-être que je suis devenue aveugle, mais j’ai l’impression que les retours que l’on a sur Belong de la part des gens qui avaient aimé le premier album sont pour l’instant très sympas.
Vous vous préoccupez beaucoup de ce que l’on dit de votre musique sur Internet? On ne peut pas vraiment éviter ça à moins de ne pas avoir d’ordinateur…
Peggy : Je ne passe pas mon temps à aller chercher tout ce qu’il se dit sur nous. Au début, je fouillais partout sur le net par pure curiosité, mais maintenant, ça m’a passé je crois.
Comment vivez-vous le fait d’être, aux yeux de vos fans, le genre de groupe que vous-même adoriez plus jeunes ?
Kip : On sait ce que ça représente d’être fan d’un groupe parce qu’on a effectivement grandi en étant fan de certains groupes. Toute notre vie tournait autour de certains groupes, de certains albums dont on parlait avec nos potes. A l’époque, rien n’était plus important à nos yeux que ces groupes et la relation qu’on entretenait avec eux et avec la musique en général. Être à la place de ces groupes aujourd’hui et représenter ça pour les gens qui aiment notre musique me donne vraiment envie de ne pas me planter ! Je ne veux pas décevoir ces gens. Je veux être à même de comprendre la relation qu’ils entretiennent avec nous et ne pas la compromettre. Ça représente beaucoup pour moi que notre groupe compte pour ces personnes – même si elles ne sont pas forcément très nombreuses. Pour moi, c’est plus important d’avoir une poignée de fans qui comprennent et respectent notre musique, s’y identifient, que tout un tas de gens plus détachés qui pensent « ah ouais… j’aime bien cette chanson ». J’imagine que c’est parce que j’ai grandi en étant un vrai fan que ce genre de relation avec un groupe a plus d’importance à mes yeux.
Avez-vous ressenti une certaine pression quand il a fallu donner un successeur à votre premier album ?
Kip : Je crois que j’étais seulement excité à l’idée de créer de nouveaux morceaux et d’essayer de faire la musique qu’on a toujours faite. Si tu demandes à tout le monde quel genre d’album ils veulent entendre, ça ne fonctionne pas – créer un album n’est pas un procédé démocratique, il faut simplement y mettre tout ton cœur peu importe si les gens pensent ensuite que c’est horrible et que tu ne peux plus rien y changer. J’ai le sentiment que notre deuxième album est juste une continuation de ce que l’on avait commencé avec le premier – écrire des morceaux noisy pop qui puissent être réellement touchants. On a seulement essayé de s’améliorer et de s’éclater.
Votre musique repose en grande partie sur la sincérité : comment réussissez-vous à garder cette sincérité malgré le succès ?
Peggy : Je crois que les gens qui aiment ce que l’on fait attendent de nous que l’on soit sincères ! Je crois que ça m’aurait beaucoup inquiétée de faire un album sans que le cœur y soit ou pour de mauvaises raisons, pour qu’il passe à la radio par exemple…
Kip : Parfois, c’est plus simple d’être soi-même. Tu n’as pas besoin de penser à ce genre de choses si tu restes toi-même. Tu ne te lèves pas le matin en te disant « il faut que je reste comme ci ou comme ça ». C’est sincère, un point c’est tout. C’est de cette façon qu’on écrit notre musique et qu’on l’aime. Je n’ai pas besoin de me convaincre de porter un sweat 8 jours sur 10, je le fais sans même m’en rendre compte ! Certaines choses doivent venir naturellement, ce n’est pas si difficile. Je crois qu’on était très excités à l’idée de faire un nouvel album et qu’on y a mis tout notre cœur. Tu sais, quand tu es excité par quelque chose, c’est communicatif. Avec un peu de chance, les gens te suivent. Tu ne peux pas forcer les autres à penser et ressentir les choses comme toi, mais nous sommes très heureux que cet album sorte enfin. Ça a été un très long processus. On a fini l’enregistrement à la fin de l’été. C’était dur d’attendre six mois avant de pouvoir enfin le sortir ! Maintenant, je veux juste que les gens puissent l’écouter et se l’approprier. On l’a fait, on en est très fier et je pense qu’on a fait du bon boulot !
Que représentaient Alan Moulder et Flood à vos yeux avant de les rencontrer et de commencer à travailler avec eux ?
Kip : C’est marrant parce qu’avant de rencontrer Flood, on se disait qu’il n’y avait pas moyen que les gens l’appellent réellement comme ça, que c’était un pseudo qu’il utilisait seulement pour son travail de producteur. Et puis il est arrivé en disant « hé salut, je suis Flood » ! (rires)
Peggy : Dans un email une fois, il a signé Mark Ellis et on s’est regardé en disant « Mark qui ? »
Kip : Il a beau tenir son nom d’un désastre biblique, il ne se la joue pas super intimidant. Il n’est pas arrivé en disant « hé, je suis Flood, je vais inonder votre son comme un tsunami » (rires) (« hey, I’m Flood, I’m going to flood your sound with awesomeness », ndlr)
Peggy : Ce n’est pas le genre de mec à avoir une queue de cheval ! (rires)
Kip (s’interrogeant lui-même) : Que représentaient Alan Moulder et Flood pour nous ?
Peggy : Ils ont produits plein de disques qui ont beaucoup comptés pour nous, surtout dans le domaine du rock, comme ceux des Smashing Pumpkins.
Kip : Ils ont été impliqués dans tellement d’albums géniaux qu’on écoutait et qu’on voyait comme de véritables icônes quand on était gamins : My Bloody Valentine, The Jesus and Mary Chain, The Sundays, Depeche Mode… Flood a produit des morceaux plutôt cools avec ce groupe écossais des années 80, The Associates. Même si on ne sonne pas vraiment comme Nine Inch Nails, c’est quand même dingue qu’il soit aussi derrière leurs albums. Faire un disque avec deux personnes qui comprennent intimement le son que l’on veut créer, qui ont le même sens de l’immédiateté que nous, c’était génial. C’est fantastique qu’ils aient voulu travailler avec nous alors que nous ne sommes pas un gros groupe de rock qui a eu son lot de tubes. Ce n’est pas comme si on était en position d’appeler Flood et de lui dire « hé Flood, ramène-toi, emmène un pack de six, on va faire un tube !». On est seulement un petit groupe new yorkais de pop indé, on n’a sorti qu’un seul album : on se sent particulièrement chanceux d’avoir pu travailler avec des gens aussi talentueux dans la production d’un genre de musique qu’on respecte profondément. Bien sûr, ils sont connus dans leur domaine, mais il ne s’agissait pas pour nous de travailler avec des gros noms juste parce que ce sont de gros noms. La plupart des gens ne connaissent pas beaucoup de noms de producteurs de toute façon. Je pense que tout le monde doit pouvoir citer environ cinq noms de producteurs et ce sont toujours Brian Eno, Alan Moulder, Flood, Rick Rubin et Butch Vig.
Peggy : Pas besoin d’être un gros geek pour connaître ces noms là…
Kip : Oui, ils sont au plus haut niveau dans leur domaine professionnel. On avait un peu peur que Flood se pointe en studio et dise « hé, je suis Flood et à partir de maintenant, on va faire les choses à ma manière », mais ce n’était évidemment pas le cas.
Peggy : On avait aussi très peur que ce soit une blague, qu’il ne vienne
jamais nous rejoindre en studio. Le jour où il devait arriver, son vol a été retardé et je me suis dit « voilà, il ne vient pas, c’était une blague ». (rires)
Quels sont les albums qu’ils ont produits desquels vous vouliez le plus vous rapprocher ou vous inspirer en enregistrant Belong ?
Kip : On a été très inspiré par la façon dont sonnent les guitares sur Siamese Dream et Mellon Collie and the Infinite Sadness des Smashing Pumpkins, que Flood et Moulder ont produit. Nous avons grandi avec ce son, il représente beaucoup pour nous. On l’adore. J’oublie aussi toujours à quel point le son de guitare tentaculaire de Ride est bon : c’est celui que l’on voulait, ce son d’album de rock de banlieue américaine, parce que c’est ce que l’on est. Tu parlais de sincérité tout à l’heure : je crois que cet album est bien plus sincère que le précédent concernant notre identité réelle et non notre identité adoptée. On est de très gros fans de plein de groupe d’indie pop écossais et américains des années 90 – ils ont été très importants pour nous lorsque nous grandissions – mais le premier vocabulaire qui nous a aidé à comprendre la musique alternative est celui de groupes américains comme Nirvana, les Smashing Pumpkins ou les Pixies – ils représentent l’idée même que le rock américain peut avoir ce son immédiat et viscéral. La plupart des sons sont plus polis, plus fins, comme la musique anglaise des années 90. La musique américaine était bien plus cartoonesque : très calme puis d’un coup très lourde.
Peggy : Le mot « lourd » est parfait. Je n’y ai jamais pensé avant mais je crois que cet album a une vraie brutalité en effet.
Kip : J’avais cette phrase dans la tête quand je travaillais sur les démos : « heaven is heavy ». Pour faire quelque chose de beau, il faut faire quelque chose de laid, ou quelque chose de très vigoureux et puissant. Ce n’est pas qu’une histoire de nuages, de soleil et de soucis, mais il doit y avoir une certaine force naturelle, quelque chose de vraiment puissant.
Une inondation (« A flood ? », ndlr) ?
Kip : Exactement, il nous fallait une inondation (rires) ! L’idée était vraiment de créer quelque chose pas seulement beau ou joli, mais qui ait un dose de puissance, de force – une dynamique. Travailler dans ce contexte, avec Flood et Moulder, nous a permis de trouver ce son là. Ils nous disaient des trucs comme « la basse est aussi un instrument important vous savez ». On le savait, mais pour rendre nos morceaux puissants, il fallait en effet insister sur ce son de basse. Ça semble tellement évident avec le recul. « Qu’est-ce qui rend la musique lourde ? » “Plus de guitares?” « Non ! Servez-vous de la basse ! ». Ils nous ont donné plein de petits conseils comme cela.
Comment s’est déroulé l’enregistrement avec eux ?
Peggy : Flood a tout de suite adopté nos private jokes et notre vocabulaire. C’était adorable.
Kip : On était tous dans un état d’esprit très taquin. On peut penser qu’un type aussi talentueux que lui est toujours très occupé, mais il déconnait tout le temps, il faisait sans cesse l’imbécile. Il ne savait pas vraiment ce qu’il voulait faire – il a essayé beaucoup de choses, nous aussi. Il y avait un certain manque de rigueur, même si on était tous très concentrés. Ce n’était pas du genre « hé les gars, on doit faire un album génial ». Le travail en studio était très amusant, c’est très important pour nous parce que nous ne sommes pas un groupe très sérieux – c’est de la pop, trois minutes trente de sentiments, il faut en profiter ! Comment peut-on espérer que quelqu’un aime notre musique si on ne s’est pas amusés en la créant ? Si tu te comportes comme si c’était la chose la plus importante et sérieuse du monde, cela devient contre-productif. Quand j’écoute Ash, je ressens leur enthousiasme. On a adoré l’enregistrement de cet album et on est très content qu’il reflète l’esprit dans lequel on était.
Peggy : C’est attendrissant de repenser à cette période en studio. Ça peut paraître éculé, mais nous étions vraiment heureux, l’enregistrement a vraiment été un super moment.
Kip : Evidemment, rien de tout cela n’aurait été important si nous n’avions pas cru à 100% en nos chansons. Nous voulions qu’elles soient aussi bonnes que possibles et c’est là que Flood et Moulder ont joué un rôle important. Si nous étions arrivés avec des chansons que nous n’aimions pas, leur talent n’aurait rien pu y faire.
Flood et Moulder ont travaillé avec de très gros groupes de rock : vous n’aviez pas peur qu’ils tentent de vous transformer en grosse machine ?
Kip : Flood a travaillé avec 30 Seconds to Mars et les Killers ; Alan avec les White Lies – du rock bien plus commercial que nous – mais en dehors de ça, Flood a aussi bossé avec PJ Harvey, Nick Cave, The Associates, Erasure, Soft Cell… Flood a compris, apprécié et s’est réjoui de nos erreurs. Il n’a pas essayé de nous transformer en groupe de stade parfait. Il voulait seulement que l’on soit aussi bon qu’on le pouvait. Il aimait beaucoup que ma pédale de guitare ait ce son un peu confus – ce qui techniquement parlant veut dire un son horrible (rires) –, mais ce qu’il y a vu, c’est nous. C’est ce qui entre autre nous fait sonner de cette façon et il n’a pas essayé de nous enlever ça. Il ne m’a pas demandé de jouer avec un style qui n’est pas le mien. Il voulait seulement réussir à capturer mes meilleures tentatives. Même si les gens se sont dit « oh mon dieu, ils vont enregistrer avec ces mecs connus, ils vont devenir un groupe prétentieux », je crois que lorsque tu écoutes la chanson 1, la 2, la 3 etc., tu te dis simplement que c’est un album de The Pains Of Being Pure At Heart. Parfois, je réécoute des trucs du premier album et je me dis que sur certains titres, ce n’est pas notre son, comme si on avait essayé de jouer selon un style qui n’était pas totalement le nôtre. On voit tout de suite la différence avec des titres qui nous ressemblent totalement comme Come Saturday ou Everything With You… On voit bien que ces chansons sont naturelles, pas forcées, ni parasitées. Ce ne sont pas des morceaux conceptuels : les titres vont là où ils doivent aller et nous n’avons pas essayé de prouver aux gens qu’on était capable de faire des bridges compliqués (rires). On a seulement voulu écrire de bonnes popsongs. Ça peut donner l’impression qu’on manque d’ambition, mais pour nous, c’est la chose la plus ambitieuse qu’on ait jamais tenté de faire. Qu’est-ce qui est plus génial que d’écrire une bonne popsong ?
Vous avez totalement abandonnée la boîte à rythmes sur cet album : qu’est-ce que ça a changé pour vous?
Kip : Au début du groupe, nos chansons étaient assez raides parce que je ne savais programmer qu’une infime partie des drums beats de ma boîte à rythmes. Tous nos premiers morceaux avaient les mêmes percussions – c’est flagrant sur notre premier EP par exemple. Lorsque Kirk nous a rejoints, on a eu l’impression de mettre les compteurs à zéro, de repartir du début parce que nos titres ont enfin pris vie. Peu de gens pensent que la batterie peut ajouter un aspect très émotionnel à un morceau, mais la façon dont Kirk joue exprime beaucoup plus que ce que l’on croit.
Est-ce que cela vous a ouvert une porte qui vous était fermée jusqu’à présent ?
Kip : Je crois qu’on commence à voir qu’on est un groupe qui possède un rythme et une dynamique forts, ce qu’on n’avait pas forcément au départ ou sur nos démos. D’un point de vue technique, Kirk trouve que la batterie sonne très bien sur Belong alors qu’il n’était pas très content de la façon dont elle sonnait sur notre premier album. J’avoue que je ne comprends pas toujours ce que ça signifie, je ne suis pas Brian Wilson, genre « hey salut les gars, je dirige un orchestre dans ma tête ! » (rires)
Est-ce que vous avez pu tester certains titres de Belong sur scène avant de les enregistrer ?
Kip : On en a joué quelques unes oui, comme Heaven’s Gonna Happen Now. Ça a d’ailleurs changé leurs formes. On n’a pas pas fait de sondages auprès du public à la fin des concerts mais le fait de les jouer live a influencé certains changements – on a réécrit le bridge sur Heart In Your Heartbreak par exemple. Je crois qu’on a surtout tenu compte des réactions des gens pour savoir si telle ou telle chanson devait aller dans l’album ou sur l’EP, si on devait en faire un single. Parfois, c’est dur d’évaluer sa propre musique objectivement.
Votre album précédent semble plus nostalgique que celui-ci. Est-ce que vous avez tenté de vivre plus dans le présent avec Belong ?
Peggy : Les paroles de l’album précédent ne sont pas nostalgiques dans le sens « le passé est bien mieux que le présent » ou « je préfèrerais être hier », elles ont seulement été écrites à partir de souvenirs que l’on a réinterprétés et auxquels on a donné du sens avec quelques années de recul. C’était presque une forme de nostalgie inconsciente. Cet album est plus dans l’immédiat. Nous avons écrit sur des sujets sur lesquels nous n’avions aucun recul, où on ne pouvait pas voir le tableau d’ensemble et où on ne savait pas comment les choses allaient se terminer. C’est un peu comme lorsque tu vois un objet de loin : tu ne sais pas ce que c’est mais tu peux commencer à le décrire. Du point de vue de l’écriture, c’est ce que nous avons fait : décrire les choses que nous vivions sans vraiment savoir quelle morale il fallait en tirer, sans être sûr que tout cela ait un sens ou sans tenter d’embellir la réalité. On a écrit sans se poser de question sur le sujet même de nos chansons, sans se dire à un moment donné « est-ce que je suis en train de passer pour un connard là ? ». C’est d’ailleurs pour ça qu’on voulait que notre musique ait aussi ce sens de l’immédiateté, qu’elle soit aussi viscérale que nos textes. On comprenait plus ou moins ce que signifiaient nos paroles sans vraiment chercher à les comprendre. C’était très intuitif. La meilleure pop est celle qui communique de façon très simple, qui n’a pas besoin d’analyse et qui ne nécessite pas qu’on lise les paroles huit fois avant de voir où l’auteur veut en venir. Ce genre de musique est réservé aux auteurs intellectuels comme Leonard Cohen, mais si tu te contentes d’écrire une pop song de 3 minutes 30, il vaut mieux donner un certain éclat et une certaine immédiateté à tes paroles et ta musique si tu veut être compris. Pour ce qui est des paroles, ça arrive souvent accidentellement, mais pour le son, on n’a du faire attention : on ne voulait pas trop de reverb par exemple parce que ça installe tout de suite une barrière, ça assèche le son. C’est marrant que tu nous fasses remarquer que l’album précédent était plus tourné sur le passé que celui-ci qui semble plus dans le présent. Ce n’était pas du tout calculé. Si on était une bande de crétins, on écrirait probablement le prochain album sur le futur, avec une musique futuriste et des paroles sur ce qu’il pourrait peut-être se passer à l’avenir pour compléter la saga ! (rires)
Kip : Certains titres comme Girl Of 1,000 Dreams ont été enregistré très vite. Sur cette chanson, on n’a fait qu’une prise de guitare par exemple. On a aussi gardé certains sons de nos démos pour garder ce sens de l’immédiateté. Beaucoup de sons ont été enregistré très spontanément parce qu’on avait aucune idée de ce qu’on voulait faire.
Vous disiez vouloir vous rapprocher d’un son plus américain et vous prenez deux producteurs anglais. Ça ne vous paraît pas être un choix un peu étrange ?
Kip : Alan a crée quelqu’un des meilleurs albums rock américains donc ça ne m’a pas paru dingue non (rires). Le pire dans tout ça, c’est que lorsqu’on a dit à ces deux Anglais qu’on voulait sonner plus américains, ils sont tout de suite compris où on voulait en venir (rires) ! C’était un peu « qui pourrait bien nous aider à sonner plus américains ? » « C’est deux gentil Anglais qui aiment le fromage mais pas les tomates crues bien sûr ! » (rires)
Selon vous, qu’avez-vous gagné et perdu en enregistrant avec Alan et Flood ?
Kip : Je crois qu’on a tout gagné. Je suis très heureux du résultat. Pour moi, nos chansons ont pu développer leurs potentiels réels grâce à Alan et Flood. Je ne sais pas comment on aurait pu y arriver autrement.
Votre groupe a de plus en plus de succès, parfois même plus que certains groupes dont vous étiez fans plus jeunes. Comment gérez-vous cela ? Vous n’avez pas peur que certains pensent que vous n’êtes plus un groupe indé ?
Kip : J’ai probablement pensé ça de certains groupes donc je comprends qu’on puisse le dire de nous. Je comprends que certains se rappellent les débuts indé de leur groupe préféré avec nostalgie mais nous, nous ne sommes pas des fondamentalistes ! Beaucoup de groupes que nous avons profondément aimé ont existé dans un contexte où avoir une distribution internationale ou les moyens de grandir étaient impensables. Ils ont essayé d’aller aussi loin que possible, mais les opportunités pour un groupe signé sur un petit label étaient bien plus limitées dans le milieu des années 80 et dans les années 90. On est sur Slumberland, on est de Brooklyn mais on a la possibilité concrète d’être écouté par n’importe qui n’importe où dans le monde ! Rejeter cette opportunité serait très irrespectueux vis-à-vis des groupes qu’on considérait comme nos héros et qui n’ont jamais eu cette chance. Je repense toujours à Kurt Cobain qui essayait de détourner l’attention qu’on avait pour lui pour la diriger sur des groupes moins connus qui selon lui méritait plus d’attention que lui. Grâce à lui, des gamins américains se sont mis à écouter Teenage Fanclub ou The Vaselines. Il a utilisé toute l’attention qu’on lui donnait pour la déplacer sur des groupes qu’aucun gamins de banlieue de quatorze ans n’auraient jamais écouté sinon.
Peggy : C’est d’autant plus marrant de se dire que les groupes qu’il soutenait…
Kip : … ne ressemblaient en aucun cas à Nirvana ! (rires). Pour en revenir à ta question, ça ne me dérange pas de voir les groupes que j’ai aimé changer, devenir plus gros. J’ai vu Teenage Fanclub en concert cet été par exemple et je pourrais me dire « oh, je ne les ai pas vu en 1992, au bon moment ». En 1992, j’avais douze ans, donc je n’avais aucune chance de pouvoir assister à un concert pareil à l’époque. Je suis très content de les avoir vu plus tard, même si pour certains, c’est trop tard. C’était super en plus. Je suis heureux de pouvoir regarder des extraits de leur concert à Reading sur YouTube et de voir sauter ces milliers de personnes couverts de boue. Je trouve ça génial qu’ils continuent à jouer et à être aussi fantastiques.
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