Portée par des acteur·ices incroyables, de Michael Keaton à Rosario Dawson, “Dopesick” prend son temps mais captive sur la longueur.
Le film-dossier, genre casse-gueule mais passionnant historiquement établi aux États-Unis, a connu son âge d’or dans les années 1970 avec une flopée de fictions politiques. Mais sa descendance reste vaillante. Il y a deux ans, l’étonnant Dark Waters du caméléon Todd Haynes décortiquait l’affaire du Teflon en montrant les conséquences d’une politique industrielle sans foi ni loi sur la vie d’un peuple auquel on ment et on vend du poison. Les séries prennent elles aussi leur part.
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Dopesick, en cours de diffusion sur Disney+ (le streamer a décidé de montrer ses séries à l’ancienne, un épisode par semaine), s’intéresse à l’un des plus gros scandales sanitaires des dernières décennies, la vente libre d’OxyContin. Cet antidouleur à base d’opioïdes, approuvé par le régulateur américain, était censé empêcher toute addiction ; mais le contraire s’est produit, provoquant des morts en cascade et brisant des vies. Au départ, ce médicament très efficace était présenté comme miraculeux par l’entreprise Purdue Pharma. Qui a réalisé des profits record.
Mener l’enquête
Regarder en face le fonctionnement des grands groupes, dénoncer leurs dérives sans flatter la fibre complotiste des anti-Big Pharma, tel est le programme en huit épisodes largement étirés de Dopesick, inspirée d’un livre-enquête de Beth Macy et créée par Danny Strong. Le récit prend vraiment son temps, multipliant les allers-retours entre la fin des années 1990 et le milieu des années 2000, tissant une toile de plus en plus touffue, jusqu’à revenir finalement à l’essentiel : qui était responsable d’un tel désastre et comment a-t-il duré aussi longtemps ?
Par certains aspects, la minisérie souffre du syndrome très contemporain des épisodes trop longs et des silences mis en scène, appuyant le sérieux de l’ensemble avec une forme de sévérité inutile. Pour la légèreté, on repassera. Mais on s’habitue. On accepte même finalement sans trop de difficulté de rentrer dans ce flow, car d’autres motifs émergent.
Voyage dans l’Amérique profonde
Dopesick intéresse d’abord pour le voyage qu’elle propose dans la chair de l’Amérique profonde où le vétéran Barry Levinson, réalisateur des deux premiers épisodes, plante sa caméra avec empathie. Dans une petite ville minière, les ouvrier·ères triment, souffrent physiquement, et constituent très vite les cibles idéales pour les représentants de Purdue Pharma qui démarchent les médecins locaux avec leurs dents blanches et leurs promesses de meilleurs lendemains.
Nous suivons notamment le destin d’une post-adolescente dans une famille très pieuse, bien avant qu’elle ne croise l’OxyContin. La jeune femme se bat pour vivre son homosexualité en évitant le regard des autres, les jugements et les quolibets de son père et de sa mère. Les scènes semblent s’éloigner du sujet central mais au fond, le renforcent. C’est comme si, pour mieux raconter l’histoire d’un médicament toxique, il fallait d’abord dévoiler à quel point certaines structures sociales le sont aussi, et favorisent les comportements à risques.
Le (contre-)pouvoir hollywoodien
Kaitlyn Dever, l’actrice qui joue ce rôle, s’était fait connaître dans l’incroyable Unbelievable sur Netflix, où elle jouait une victime de viol. Elle poursuit ici son portrait d’une jeunesse américaine délaissée et violentée avec un grâce infinie. Elle incarne aussi l’aspect le plus intéressant de Dopesick, celui qui donne envie d’oublier toutes les scories : la puissance des comédien·nes américain·es, capables de faire sonner juste l’idée d’une vérité populaire.
On ne remet pas une seconde en question l’idée que l’ex-Batman Michael Keaton puisse être un médecin de petite ville en fin de carrière, bientôt débordé par ses prescriptions et rongé par la culpabilité. Le voir lutter, céder et lutter à nouveau se révèle très émouvant. On ne doute pas non plus un instant de la force intérieure et de la motivation de Rosario Dawson, qui interprète une cheffe de l’agence anti-drogues avec une profondeur immédiate et une fluidité sans failles. Cette comédienne géniale navigue depuis plus de 25 ans dans le cinéma et les séries (Kids de Larry Clark en 1995 a marqué son entrée en scène). Elle n’a pas perdu sa persévérance et sa puissance de persuasion. La voir hurler de joie et de soulagement à la fin de l’épisode 6 constitue une expérience à vivre.
Dopesick rejoint grâce à elle et aux autres une histoire hollywoodienne solide, qui donne à l’industrie de l’entertainement une responsabilité politique et sociale. Sans atteindre des sommets, quelque chose retient l’attention constamment, cette croyance sourde et têtue que les images et les sons pourraient changer le monde.
Dopesick. Sur Disney+.
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