Stagiaires, étudiants, intermittents du spectacle ou bas salaires, ils avaient du mal à trouver un logement. Alors ils ont posé leur valise chez des amis.
Il débarquait de Lyon, n’avait ni garant solide, ni feuille de paie rutilante. Victor a très vite compris qu’il ne trouverait rien sur le marché immobilier parisien. Il a donc appelé son ami Umberto, installé dans la capitale depuis plusieurs années. Umberto vivait déjà en colocation avec un pote et hébergeait aussi sa copine, mais il restait un peu de place dans le salon de son petit appartement près du cimetière du Père-Lachaise. Victor, 22 ans, s’est donc pointé et immédiatement l’idée est venue de matérialiser la situation. « Le jour même, raconte-t-il, je suis allé acheter une tente. »
La vie de l’appartement s’est organisée autour de celle-ci, posée comme une verrue au milieu du salon. Victor l’a un peu aménagée : il a trouvé une couverture, un petit matelas, il a mis des coussins. C’est devenu son appart dans l’appart. A son tour, Victor a hébergé des gens, surtout des filles. Cela a duré quatre mois et aujourd’hui, il en rigole à moitié.
« J’en suis ressorti avec le dos fracassé, assez fatigué. Mais je n’avais pas vraiment le choix. Même après avoir trouvé un job chez American Apparel, je n’avais aucune chance de trouver un appartement, je l’ai très vite compris et accepté. Ça me paraît tellement banal. Je connais plein de gens dans la même situation, obligés de bidouiller, de camper à droite à gauche… »
La pénurie de logements, l’augmentation des loyers, la multiplication des exigences des proprios et la banalisation des contrats de courte durée, des stages et autres statuts précaires ont généralisé cet improbable bricolage locatif. Des couples séparés continuent de cohabiter faute de trouver des logements individuels abordables. Des trentenaires, même salariés, vivent encore chez leurs parents. Des couples, parfois avec enfants, s’installent en colocation avec des célibataires. Des retraités sans économies se réfugient chez leurs enfants. Et des potes campent dans le salon.
De tous ces cas, le dernier n’est pas le plus spectaculaire mais c’est assurément le plus fréquent. Qui campe dans les salons ? Un pote dans l’embarras venu faire sa rentrée universitaire à Paris et qui, pendant de longues semaines, attend de trouver un impossible pied-à-terre. Un vague cousin qui a renoncé à chercher un appart pour les six mois de son stage. Un ami intermittent du spectacle qui sous-loue son studio une semaine par mois pour se renflouer un peu et, pendant ce temps, squatte ici ou là.
Campeurs d’un nouveau genre
Le phénomène étant indexé sur l’âpreté du marché locatif, Paris est naturellement le lieu de convergence de tous ces campeurs d’un nouveau genre. Alexia, passée du statut d’hébergée à celui d’hébergeante, est installée à Paris depuis près de six mois.
« Je viens de Toulouse, raconte-t-elle. Là-bas, ce n’est pas dans les moeurs. On peut héberger quelqu’un pour une nuit ou deux, sur le pouce. Mais, même pour des périodes courtes, les gens trouvent rapidement à se loger. »
« Quand je suis arrivé à Metz pour mes études de théâtre, j’ai mis moins d’une semaine à trouver un appart, enchaîne Vlad, d’origine roumaine. A Paris, en trois ans, je n’ai jamais vraiment réussi. »
Vlad a donc beaucoup campé. « Dans le studio d’une copine à Belleville, puis chez des potes à Nation, puis dans l’atelier d’une amie peintre, puis encore chez des potes », énumère-t-il rapidement. Entre ces différentes étapes, il a connu des colocations plus formelles, où il n’avait pas forcément sa propre chambre mais pour lesquelles il devait payer.
« Payer une partie du loyer, cela change les rapports, on a une sorte de légitimité, estime-t-il. Chez des potes, on débarque, on pose nos sacs, on empiète sur leur espace vital dans des apparts souvent très petits. C’est assez violent. »
Le plus important est que tout se passe pour le mieux
Pour ne pas passer du statut de campeur sympathique à celui d’horrible squatteur, Vlad a donc ses ficelles. Il ne sort pas ses affaires du sac, n’étale pas ses produits de toilette sur le lavabo de la salle de bains, remplit le frigo, paie un restaurant de temps en temps et tente de se faire aussi discret que possible. « Le vrai truc, c’est de ne pas s’éterniser. Au-delà d’un mois, il faut partir. »
Dans la même situation, Jean-Paul, étudiant en province et stagiaire campeur à Paris, s’est fait une règle de « toujours préciser en arrivant la date de son départ et de s’y tenir ». Pour un campeur, le plus important est que tout se passe au mieux, histoire de pouvoir revenir, peut-être, dans quelques semaines ou quelques mois…