Ferrara hallucine un monde en perdition, progressivement vidé de son humanité pendant des nuits d’horreur. Magnifiquement désespéré. De la rigueur classique de L’Invasion des profanateurs de sépultures (1956) de Don Siegel aux entêtants et très hallucinés travellings latéraux du remake Body snatchers d’Abel Ferrara, l’écart n’est pas seulement imputable au style, ici passablement contaminé par […]
Ferrara hallucine un monde en perdition, progressivement vidé de son humanité pendant des nuits d’horreur. Magnifiquement désespéré.
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De la rigueur classique de L’Invasion des profanateurs de sépultures (1956) de Don Siegel aux entêtants et très hallucinés travellings latéraux du remake Body snatchers d’Abel Ferrara, l’écart n’est pas seulement imputable au style, ici passablement contaminé par le gore, mais surtout aux modifications que Ferrara fait subir à l’histoire originale. Celle-ci raconte le passage à l’inhumanité de la population d’une petite ville de Californie, des extraterrestres tuant les habitants nuitamment et prenant leur apparence. « C’est quand on dort qu’ils viennent nous tuer », car avec le sommeil, la vigilance se relâche. Aussi, les quelques irréductibles tentent-ils par tous les moyens de rester éveillés pour fuir et prévenir l’extérieur. Les extraterrestres ne sont intéressants que s’ils permettent, par opposition, de définir des critères d’humanité : à ce titre, cette histoire est l’exact contraire de celle d’ET (qui sous des dehors un peu frustes cachait une bonne âme wasp) puisque l’humanité n’est plus définissable que dans la sphère de l’intériorité. Or, comme l’intérieur est ce qu’on ne voit pas, tous les doutes, toutes les paranoïas sont permis. La question est donc : avec quels humains vais-je défendre l’humanité ? C’est-à-dire, à qui vais-je faire confiance à l’heure où la survie recommande la méfiance ? Dans le Don Siegel, encerclant la zone contaminée, perdure un dehors salvateur : l’Amérique et son armée. Et ce qui sauve le dernier homme, c’est sa confiance sans faille dans la société et ses institutions, et sa méfiance absolue envers tous les hommes. Mais chez Ferrara, la contamination se fait d’abord dans une base militaire, cristallisation du pouvoir, de la puissance et de l’information ; et la société, ce sont précisément les extraterrestres, masse homogène et organisée, qui l’incarnent le mieux ils se nomment l’Union. Comme vision de l’Amérique de l’Occident ? du monde ? , on ne peut pas faire plus désespéré et il n’y a plus ici de résistance possible, faute d’un ailleurs préservé. Alors, que faire dans l’infamie et la terreur, lorsque l’on doute de l’identité de chacun et que l’enjeu n’est rien moins que la possibilité de dire « nous » ? La plupart grossissent les rangs de la majorité persécutrice, certains se suicident… Il en reste deux, qui s’abandonnent à une confiance aveugle parce que c’est la seule alternative à la mort, et courent d’une fuite hébétée vers un abrutissement amoureux, dans le vacarme des meutes hurlantes, des rotors, sirènes, coups de feu et bruits de botte et dans la nuit trouée par les faisceaux des projecteurs. Les dernières minutes du film sont d’une beauté proche de l’idée : les rescapés provisoires, éphémère goutte d’humanité, (« Laissez-les partir, personne ne les croira »), sont isolés dans le cockpit protecteur de l’hélicoptère, éblouis par l’horreur qu’ils laissent derrière eux et par le soleil. « Parce qu’il faut bien dormir un jour », ils atterrissent sur un aérodrome militaire, incertains et las, sous les directives d’un soldat casqué, impénétrable.
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