Un film aussi intelligent, austère et rigoureux que la vie du célèbre philosophe. Une mise en scène au diapason du sujet. Le titre est clair : il s’agit bien d’une adaptation d’un moment de la vie du célèbre philosophe, premier au hit-parade des cauchemars de lycéen. Autant dire que le projet de Collin est ambitieux, […]
Un film aussi intelligent, austère et rigoureux que la vie du célèbre philosophe. Une mise en scène au diapason du sujet.
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Le titre est clair : il s’agit bien d’une adaptation d’un moment de la vie du célèbre philosophe, premier au hit-parade des cauchemars de lycéen. Autant dire que le projet de Collin est ambitieux, singulier et éminemment casse-gueule. Si la légende dit vrai, la vie de Kant fut en effet aussi répétitive et morne qu’un séjour en prison. En choisissant Platon ou Nietzsche, Collin pouvait se raccrocher à un semblant de matière romanesque des rencontres, des voyages. C’est visiblement ce qu’il ne voulait pas. En fait, ce scénario de vie totalement dépourvu d’événements, de sexe et d’amour lui offre le plus sûr moyen de se retrouver nez à nez avec un sujet-ovni : un personnage qui structure sa vie uniquement pour mieux penser et le plus longtemps possible. Jusqu’au jour où…
Collin opte pour un antirécit et dès l’ouverture, le ton est donné : découpage au cordeau, noir et blanc très contrasté, plans rigoureux et sobres. Une architecture austère à l’image des journées de Kant dans sa bonne ville de Königsberg, qu’il n’a pratiquement jamais quittée. Son emploi du temps organisé avec une précision de métronome ferait frémir le général Bigeard : réveil à 5 heures tapantes, déglutition mécanique de trois tasses de café, sempiternel reproche au serviteur pataud, etc. A travers cette suite de tableaux, Collin saisit la mise en scène scientifique d’un homme qui organise chaque geste et chaque attitude du quotidien. Plutôt que de le montrer en train de réfléchir (ce qu’aurait fait n’importe quel tâcheron), il saisit simplement des mouvements et des durées qui portent en eux un travail de la pensée.
Cette rigueur coexiste aussi avec un soupçon d’esprit burlesque, comme dans un film straubien qui serait contaminé souterrainement par Tati. C’est surtout vrai dans la seconde moitié où le système kantien montre des signes de dérèglement. Le philosophe chute, mange voracement un bout de pain, se peinturlure le visage : autant d’accrocs minimes, difficiles à interpréter est-il fou ? joue-t-il au fou ? Collin disperse des grains de sable pour enrayer la mécanique, sans pour autant miser sur une dramatisation. Son film se transforme progressivement en précis de décomposition active : il disjoncte de l’intérieur, discrètement mais sûrement. En perdant le contrôle de lui-même, Kant se libère alors d’un poids.
La mise en scène est à l’unisson de cet allègement : vers la fin, le film donne l’étrange impression de défiler de lui-même, sans autre maître à bord que le temps.
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