Des dérives de la chiraquie à l’affaire Woerth-Bettencourt, la corruption contamine notre démocratie. En dépit du désenchantement qui les gagne, les citoyens s’y habituent.
Le procès de Jacques Chirac, sans parler des échos persistants de l’affaire Woerth-Bettencourt, rappelle combien la corruption contamine notre système politique.
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Si, comme le souligne l’historien Frédéric Monier dans Corruption et politique : rien de nouveau ?, la corruption, définie comme l’abus d’une position publique à des fins privées et intéressées, reste une donnée anthropologique, quelque chose a pourtant changé dans les perceptions que les citoyens en ont. Elle inspire aujourd’hui la résignation plutôt que l’indignation : elle a perdu « son pouvoir de scandaliser ».
Ce paradoxe entre sa dénonciation et son acceptation de fait, cet « écart entre de fortes références à la moralité publique et une large tolérance à l’égard du favoritisme et de la recherche d’avantages individuels » sont interrogés par le sociologue Pierre Lascoumes dans un essai éclairant, Une démocratie corruptible. « En matière de probité publique, c’est l’ambiguïté qui prévaut », insiste l’auteur.
Pour étayer sa démonstration, tout en nuances, Lascoumes s’appuie sur des études statistiques permettant de répertorier un ensemble d’attitudes réparties sur une échelle de valeurs, au coeur duquel se démarque une « zone grise » où l’on s’accommode des manquements à la probité publique.
Une notion élastique
Il est vrai que la corruption reste une notion élastique, qui va du petit favoritisme à l’enrichissement personnel, du financement politique illégal au trafic d’influence : les transgressions sont à géométrie variable. Les porteurs d’une définition rigoureuse de la corruption sont peu nombreux face à ceux qui s’accordent avec la culture de « l’arrangement ». Dans cette « zone grise des ambiguïtés », le point de vue « rigoriste » demeure une position minoritaire par rapport à l’importance des positions plus laxistes ou ambivalentes.
« Pourquoi les citoyens maintiennent-ils souvent leur soutien électoral à des élus mis en cause et même condamnés pour des atteintes à la probité ? », se demande Lascoumes.
La vertu ne serait-elle plus une qualité première exigée de ceux qui nous gouvernent ? La référence à l’intérêt général s’efface souvent derrière la recherche d’intérêts particuliers, pour lesquels l’homme politique est vu comme un « facilitateur ». Ni « légalistes pointilleux », ni « moralistes radicaux », les citoyens ne sont pas non plus des « profiteurs cyniques ou des sujets ne valorisant que l’efficacité politique sans considérations éthiques ».
Le schématisme du pur et de l’impur ne résiste pas à la réalité complexe d’une tension permanente entre intérêts individuels, intérêts collectifs et intérêt général, « problème inhérent à toute société organisée ». Si la corruption reste un phénomène « normal » de notre démocratie, il appartient aux acteurs du système – décideurs, solliciteurs et public… – de veiller à rendre la démocratie la moins corruptible possible.
Mieux réguler les conflits d’intérêts, réviser la culture des rapports entre les élus et leurs mandants, briser la bulle des connivences… : la dissipation du désenchantement citoyen ne pourra se réaliser qu’à travers la politique elle-même, seule voie possible de neutralisation des atteintes à la probité.
Jean-Marie Durand
Corruption et politique : rien de nouveau ? de Frédéric Monier (Armand Colin),184 pages, 18 euros ; Une démocratie corruptible, arrangements, favoritisme et conflits d’intérêt de Pierre Lascoumes (Seuil), 102 pages, 11,50 euros
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