Le directeur du festival de Sitges en Espagne, qui a programmé « A Serbian Film », est poursuivi pour diffusion de pornographie infantile. Le dernier volet de la saga polémique du film, pourtant loin d’être le scandale annoncé.
Dans l’histoire pas toujours glorieuse du cinéma d’exploitation, peu de titres pourront prétendre avoir suscité autant de controverses et de passions contradictoires qu’A Serbian Film. Depuis sa présentation au festival SXSW à Austin en mars 2010, cette série B sur le milieu du snuff s’est attirée les foudres des comités de classification nationaux, des associations anti-pornographiques et des militants bigots – s’assurant en retour l’adoration béate des fanboys shootés aux films de genre.
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Mais la polémique, alimentée par le producteur Contrafilm et les programmateurs de festivals (qui s’offraient buzz et affluence record aux séances midnight), a cette fois-ci franchi un palier plus inquiétant.
Présenté en octobre dernier à Sitges, le rassemblement annuel du cinéma déviant en Espagne, A Serbian Film a provoqué la colère d’une association de défense des droits des mineurs. Alerté, le procureur de la République de Vilanova i la Geltrú (Barcelone) a lancé une procédure judiciaire contre le directeur du festival, Angel Sala, pour diffusion de pornographie infantile. Il encourt une peine de trois mois à un an d’emprisonnement, et/ou une amende.
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La loi contre le film
L’organisation du festival de Sitges s’était pourtant prémunie contre ce genre de controverse : A Serbian Film n’a été diffusé qu’une fois dans le cadre des séances de minuit interdites aux mineurs, et une signalétique précise a été publiée dans les médias. Le film avait par ailleurs circulé dans de nombreuses autres manifestations, à Toronto, Porto, Montréal (où il a reçu une série de prix), sans que jamais sa projection ne fasse débat (à l’exception du Film4 FrightFest britannique où il a été diffusé en version censurée).
Mais toutes ces précautions n’ont pas convaincu l’association de défense des droits des mineurs à l’origine de la plainte. Deux scènes particulières du film de Srđan Spasojević cristallisent les tensions : un viol sur un nouveau né (à peine sorti du ventre de sa mère), et un rapport sexuel avec un enfant de cinq ans. L’accusation invoque l’article 189 du code pénal espagnol qui punit la diffusion de matériel pornographique « incluant directement ou indirectement des enfants, le son de leur voix ou des images, qu’elles soient authentiques ou transformées ».
La question A Serbian Film est devenue en l’espace de quelques jours une affaire politique en Espagne, où l’on s’interroge sur la censure et la responsabilité du directeur de festival incriminé, Angel Sala (qui ne s’est toujours pas exprimé).
Dans une interview accordée au quotidien El Pais, le critique de cinéma Jesús Palacios évoque ainsi « une situation kafkaïenne » et s’interroge :
« Comment peut-on dénoncer un directeur de manifestation et non pas le réalisateur du film ou le distributeur ? »
Il ajoute que la loi ne doit pas assimiler la simulation d’un crime -en l’occurrence l’agression sexuelle sur un enfant-, et le crime en lui-même. C’est bien sur cette vieille litanie de la représentation de la violence et de la sexualité au cinéma que se fixe le débat. Dans un communiqué publié sur le site du festival, l’organisation de Sitges défend son président et rappelle quelques évidences :
« Au regard des récentes déclarations concernant A Serbian film, le festival tient à rappeler que cette oeuvre n’est pas à caractère pornographique, mais, en réalité, une oeuvre d’horreur fictionnelle, qui n’entend pas attaquer ou humilier la dignité sexuelle des mineurs. »
Un simple film d’horreur donc, comme résumé par le cinéaste Jaume Balagueró (Rec, Fragile) qui explique que la procédure judiciaire menée contre le directeur du festival de Sitges a « transformé l’Espagne en un pays ridicule ».
Le pouvoir de la rumeur
Mais il y a bien un problème avec le premier long métrage de Srđan Spasojević, qui traîne depuis bientôt un an une odeur de souffre à chaque diffusion en festival. Un problème qui vient en grande partie de l’ignorance de ses contempteurs : l’association de défense des droits des mineurs, au cœur de la polémique espagnole, a par exemple reconnu qu’elle n’avait pas vu le film (un effet Hors la loi, version porno gore).
Cette forme d’attraction-répulsion fondée uniquement sur la rumeur avait déjà, dans les années 80, assuré la promotion clandestine du film japonais Guinea Pig, Flowers of Flesh and Blood, annoncé un peu partout comme un vrai snuff movie. Epoque pré-Internet où le manque de visibilité des films entretenait encore un petit culte d’initiés.
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L’aura transgressive d’A Serbian Film ne résiste pourtant pas longtemps à Internet (le film est disponible un peu partout en streaming ou torrent), et déjà des voix s’élèvent pour nuancer un peu le tableau de l’ »œuvre scandaleuse ».
Ni vraiment porno (trois plans fixes sur une fellation exercée sur des prothèses), ni vraiment gore (on est très loin des débordements graphiques de Nekromantik 2 du génial Jörg Buttgereit), A Serbian Film peine surtout à masquer sa bêtise derrière des morceaux de bravoure excessive (le viol du bébé, donc).
Trop grossiers pour être pris au sérieux, ces effets de manche renvoient surtout le premier long métrage de Srđan Spasojević, vendu comme une « allégorie » de la Serbie contemporaine, à son statut de torture porn de festival (opportunément défendu par Eli Roth).
Le réalisateur aura néanmoins réussi son pari marketing, alors que le site spécialisé Fangoria annonçait récemment la distribution d’A Serbian Film dans les salles américaines, pour une sortie –probablement mouvementée- prévue le 13 mai. La carrière imperturbable d’un faux scandale qui n’aura fait qu’une seule victime : le directeur du festival de Sitges.
Romain Blondeau
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