Publication de son premier cours au Collège de France, élargissements incessants de sa pensée, présence en tant que personnage de romans intimes : le philosophe disparu en 1984 reste au coeur de notre époque.
Michel Foucault souffle encore. Tel un spectre planant parmi nous, il imprime dans notre actualité le mystère de sa présence tenace. Comme si sa disparition en 1984 ne pouvait se réduire à sa seule fin physique et ouvrait sans cesse de nouveaux horizons. Foucault génère aujourd’hui des souvenirs, des pistes d’avenir et des manières de réfléchir. La littérature s’empare de lui, à l’instar de Mathieu Lindon dans Ce qu’aimer veut dire.
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Inspirant les romanciers, il nourrit aussi les travaux des philosophes, même sur des questions a priori éloignées de ses obsessions (Foucault va au cinéma par Patrice Maniglier et Dork Zabunyan). De plus en plus, on mesure combien la pensée foucaldienne étend son influence dans le territoire des idées. La preuve avec la publication de son premier cours au Collège de France : un cours tenu à partir du mois de décembre 1970 divisé en douze leçons sur « la volonté de savoir », plus une leçon sur Nietzsche et une conférence intitulée « Le Savoir d’OEdipe », où se révèle déjà le souci de mettre en lumière les pratiques sociales des dominés, l’analyse des pratiques discursives, des formes de pouvoir et de gouvernementalité…
Un véritable « ami » intellectuel
Plus qu’une postérité dont il aurait refusé le principe d’autorité qu’elle confère, le philosophe a laissé derrière lui des héritiers. Pour eux, à rebours de toute fascination dogmatique, Foucault n’a jamais eu la qualité d’un maître à penser, mais plus celle d’un « ami » intellectuel dont les intuitions ont nourri la boîte à outils permettant de penser le monde d’aujourd’hui.
« On pense avec Foucault », souligne Jean-François Bert, qui note que sa place actuelle dans les sciences humaines est « plus importante que celle qu’ont bien voulu lui reconnaître de son vivant » ceux qui l’identifiaient « soit comme un penseur anarchiste, gauchiste, nihiliste, soit comme un antimarxiste masqué qui avec sa généalogie n’a fait que multiplier les contradictions ».
Or, ces contradictions sont au coeur de ce que Judith Revel appelle « une pensée du discontinu » intégrant « la rupture, le saut, la différence, le changement », avançant par « élargissement ». C’est à cet élargissement que s’emploient ses descendants actuels. Ce qu’ils retiennent de Foucault se fixe sur la nécessité d’être en prise avec l’actuel et le présent. Didier Eribon rappelle dans la nouvelle préface de sa très belle biographie parue en 1989 que le rôle du philosophe était pour Foucault de faire le « diagnostic du présent ».
La révolution arabe actuelle l’aurait sûrement enthousiasmé
L’intellectuel foucaldien, précise Bert, « n’est plus, comme avec Sartre, ni porteur d’une forme d’universalité, ni porte-parole mais d’abord un savant-expert qui nourrit sa critique de façon locale à partir d’une politisation des problèmes quotidiens ».
On imagine combien le soulèvement actuel des peuples arabes l’aurait enthousiasmé. Contrairement à l’idée faisant croire à son erreur de diagnostic sur la révolution iranienne de 1979, Foucault n’a jamais, à l’époque, admiré naïvement le pouvoir islamiste, mais salué la révolte d’un peuple, l’événement en soi, la rupture avec l’ordre établi (cf. l’article d’Olivier Roy, L’Enigme du soulèvement, dans Vacarme, automne 2004). Si cet élan pour le mouvement de libération semble aujourd’hui tiède dans la voix de nombreux intellectuels français mal à l’aise avec la question de l’islam, l’héritage foucaldien invite à en assumer le risque. Sa grande leçon, rappelle Bert, est de « proposer un véritable travail de sape qui doit nous autoriser à penser autrement les systèmes de pensée qui contraignent notre vision du monde ».
Jean-Marie Durand
Leçons sur la volonté de savoir, cours au Collège de France (1970-1971) suivi de Le Savoir d’OEdipe (Seuil), 336 pages, 23€.
Introduction à Michel Foucault de Jean-François Bert (La Découverte), 128 pages, 9,50€.
Cahier Foucault collectif (Editions de l’Herne), 416 pages, 39€.
Michel Foucault de Didier Eribon (Champs Flammarion), nouvelle édition, 646 pages, 11€.
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