Pour les cinéphiles de notre génération, le nom de Shirley Clarke était un petit mythe, le point aveugle de l’histoire du cinéma new-yorkais indépendant, le supposé chaînon manquant entre Cassavetes et Jarmusch. On n’avait pas vu un seul mètre de pellicule imprimée par la dame et pourtant, André S. Labarthe lui avait consacré un Cinéaste […]
Pour les cinéphiles de notre génération, le nom de Shirley Clarke était un petit mythe, le point aveugle de l’histoire du cinéma new-yorkais indépendant, le supposé chaînon manquant entre Cassavetes et Jarmusch. On n’avait pas vu un seul mètre de pellicule imprimée par la dame et pourtant, André S. Labarthe lui avait consacré un Cinéaste de notre temps et Godard regrettait encore récemment que l’histoire du cinéma l’ait oubliée. La (res)sortie de ses films est donc une bonne initiative et vient combler un manque.
The Connection est une sorte de faux documentaire sur un groupe de junkies zonant dans un appartement new-yorkais. La « connection », c’est le réseau de dealers qui permet de se procurer la dope c’est sans doute aussi ce qui relie des individus formant une communauté vivant aux marges de l’Amérique majoritaire des années 60. Dans un living-room très bohème new-yorkaise (murs de brique, fenêtres-guillotine, cendriers pleins et foutoir général), on voit donc ensemble des Blancs et des Noirs, des dope-addicts et des musiciens de jazz, tout un petit mélange humain minoritaire plutôt invisible dans les films de l’époque. Pendant qu’ils attendent leur dealer, on ne peut s’empêcher de penser qu’au même moment dans la même ville, Cassavetes tourne aussi ses premiers films, le Velvet émerge et la Factory de Warhol bat son plein… The Connection propage donc avant tout le parfum des sixties new-yorkaises. Mais son dispositif brechtien donne aussi un aperçu de l’idée que l’on se faisait d’un cinéma sortant des sentiers battus : brouillage fiction/documentaire, dialogues improvisés, dévoilement des artifices du spectacle (tournage dans le tournage), work in progress, imperfections techniques revendiquées, etc. The Connection était donc un outil de combat à la fois contre la norme sociale et contre la norme hollywoodienne. Seul problème : malgré de belles séquences musicales, le film est répétitif, souvent ennuyeux, à peine mieux filmé qu’un home-movie trente ans après, ses partis pris apparaissent datés, son charme fané. On est loin des contemporains Mekas ou Rogosin, encore plus de Cassavetes. Aujourd’hui, The Connection peut se regarder comme un document sur le New York des sixties et de la contre-culture, un témoignage parcellaire de l’histoire des images. Mais sur le strict plan esthétique, on est obligé et désolé de constater que le mythe Shirley Clarke était plus beau que la réalité.
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