Les culte Jesus & Mary Chain partent en tournée avec leur second album, “Darklands”, paru en 1987. Et feront escale, entre autres, au Bataclan le dimanche 5 décembre. Entretien.
On a coutume de les présenter, à raison, comme les deux faces d’une même pièce : Psychocandy sorti en 1985, Darklands, paru deux ans plus tard, en 1987. Le premier, plus noisy et agressif que le second, qui met en avant les voix des frères Reid (Jim et William) et délaisse la distorsion pour embrasser la ballade (sur d’ombrageux chemins).
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Les deux ont le génie d’entremêler noise et pop dans un évident clin d’œil en clair-obscur au Velvet Underground, sur l’héritage duquel les frères Reid ont bâti leur Jesus & Mary Chain.
Darklands est enregistré à deux, Jim et William Reid ayant recours à une boîte à rythmes en guise de batterie après avoir viré leur manager Alan McGee du label Creation (remplacé par Geoff Travis de Blanco y Negro) et vu leur ancien batteur Bobby Gillespie les quitter pour se consacrer à son propre groupe, Primal Scream. Sorti en avril 1987, le single et tube April Skies rentre dans le top des charts britanniques et leur vaut un passage à Top of the Pops.
Six albums plus tard, en 1998, les frères Reid manquent de s’entretuer et mettent fin à Jesus & Mary Chain… avant de le reformer en 2007 avec, entre autres, un concert à Coachella où les rejoint Scarlett Johansson sur Just Like Honey (référence au Lost in Translation de Sofia Coppola qui le fait figurer sur la BO).
Après avoir tourné avec Psychocandy en 2014 et 2015 (et être passé par les Inrocks Festival au mois de novembre 2014), les voici de retour avec la tournée Darklands, qui passera par le Bataclan ce dimanche 5 décembre. Si Jesus & Mary Chain ont toujours eu la réputation d’être affreusement désagréables voire taiseux en interviews, Jim Reid n’en a pas moins accepté la nôtre, depuis son hôtel à Manchester. Et franchement, ça allait.
Que faites-vous à Manchester ?
Jim Reid – Nous répétons la tournée Darklands à Manchester pour diverses raisons. Nous allons démarrer la tournée à Glasgow mais à cause de la COP26, il n’y avait pas d’hôtels ni rien, et on répète souvent à Manchester où se trouve une bonne partie de notre équipe.
Comment se passent les répétitions ?
Pas mal. Comme souvent, les premiers jours, tu te dis : “Putain, mais qu’est-ce qu’on fait là.” Après quelques jours, tu te sens beaucoup plus positif. C’est ce que nous ressentons actuellement. Donc ça va !
Tu as besoin d’être positif ?
Ça aide. N’importe quel geste artistique a besoin d’être plus ou moins porté par une vibe positive. Même si tu fais du blues. Si tu enregistres un disque, tu as besoin d’une vibe positive pour le produire, pour que cela sorte.
Quand tu parles de “vibe positive” c’est une façon de dire que tu as besoin de croire que ce que tu fais est important pour pouvoir le faire ?
C’est étrange de parler d’être positif, car la plupart des gens pensent sûrement que nous sommes maussades, et nous le sommes certainement. Mais il faut trouver une raison pour se lever le matin. Sinon tu coules. Est-ce que tu veux nager ou couler ? C’est ça la question.
Tu as donc choisi de nager ?
Plus ou moins, oui. Mais je ne sais pas nager.
Tu ne sais pas nager ?
Je ne sais pas nager [rires]. Enfin peu importe, passons.
Quand as tu décidé de nager et non pas de couler ?
Ça a toujours été le cas. Je ne dis pas que nous sommes les gens les plus heureux sur Terre, nous ne le sommes vraiment pas. Mais faire un bon disque, tourner, te permettent de continuer. C’est la même chose pour tout le monde. Il faut s’accrocher à certains trucs car il y a tellement de merde partout.
J’ai toujours pensé qu’on ne pouvait pas être totalement heureux et produire une œuvre.
Je ne sais pas car je n’ai jamais été totalement heureux… peut être qu’Ed Sheeran est totalement heureux et c’est probablement ce que tu crées quand tu es totalement heureux [rires].
Je suppose que tu n’aimes pas Ed Sheeran ?
Franchement, je ne connais pas très bien. Il est sûrement gentil, mais bien entendu je n’aime pas du tout sa musique.
Dans quel état d’esprit étiez-vous alors à l’époque de Darklands en 1987 ?
On n’était pas heureux. Mais on était heureux quand il pleuvait, en revanche [rires]. On était nerveux, on avait peur. On avait fait Psychocandy et beaucoup de gens nous disaient qu’on ne pouvait rien sortir de plus. On nous incitait à nous séparer. Il y avait beaucoup de pression sur ce deuxième album. Les gens s’attendaient à ce que l’on fasse un Psychocandy numéro deux.
Même si on ne savait pas tellement ce qu’on voulait faire, on savait au moins une chose : on ne voulait pas refaire Psychocandy. On voulait faire un disque complètement différent de Psychocandy. C’était notre objectif principal. Et c’est la direction qu’on a prise. On était confus, nerveux. On ne savait pas quoi faire avec le groupe. On était parano. On avait l’impression que les gens étaient contre nous. On a hésité à se séparer.
Pourquoi vouloir faire quelque chose de différent ?
L’idée de refaire un Psychocandy nous semblait ennuyeuse. On voulait autre chose. On voulait réinventer le groupe. C’est ce qui s’est passé pour tous nos albums. Un album est une déclaration. Une fois que tu l’as faite, pas besoin de te répéter. Il faut se demander ce que tu as d’autre à dire. C’est ce qui s’est passé avec Psychocandy. Pourquoi faire le même disque, encore et encore ?
Pour toi, en quoi Darklands est si différent ?
En matière de structure des morceaux, c’est assez similaire. Mais en matière d’approche, de création, non. Le morceau Darklands par exemple ne ressemble à rien de ce qui se trouve sur Psychocandy.
Tu te souviens de l’enregistrement ?
C’es un moment très important. Il y avait William et moi en studio. C’était Bill Price qui produisait. Il avait enregistré les Sex Pistols. C’était au studio Wessex où il y avait eu T-Rex, Never Mind The Bollocks. C’était cool d’être dans cet environnement. On était là pour bosser.
Qui avait le dernier mot entre William et toi ?
À l’époque, on était des sortes de jumeaux. On était d’accord sur tout. Ce n’est que des années plus tard que nous n’avons plus eu les mêmes idées, que l’on a été en froid. Sur Psychocandy et Darklands, on ne faisait plus qu’un.
Que recherchiez-vous sur Darklands ?
Nous cherchions à faire un album que les gens écouteraient toujours des années plus tard. Et voilà, nous allons le jouer devant des centaines de personnes en 2021. Donc je pense que le boulot a été fait.
Vous avez tourné avec Psychocandy pour les trente ans de l’album en 2015. Six ans plus tard, vous voici de retour avec Darklands. Pourquoi ?
Car la tournée Psychocandy a été un succès ! Tous les fans qui venaient nous serrer la main après les concerts, l’atmosphère générale… Ça nous a pris du temps d’accepter l’dée de rejouer nos albums, Psychocandy compris. Nous avons refusé pendant des années. Un jour, nous étions ensemble en studio pour répéter, pour voir si ça pouvait marcher, et ça avait l’air de fonctionner ! On savait que le concept marchait pour Psychocandy, donc pourquoi pas refaire Darklands ? Si les gens veulent les écouter, alors jouons-les.
Tu n’as pas peur de tomber dans le plan nostalgique ?
Pas du tout. On a fait un album il y a quelques années et là on bosse sur le prochain. Il n’y a pas de mal à revisiter le passé. Je suis immensément fier de notre back catalogue et ça ne m’empêcher pas de vouloir sortir de nouvelles choses à l’avenir.
Votre public n’est-il composé que de vieux fans ? Y a-t-il aussi des jeunes générations ?
Oui, ils viennent ! Je pense que c’est grâce à Internet. On a souvent de jeunes groupes qui nous citent dans leurs interviews.
C’était quoi le “darkland”, la terre obscure, qui donne le nom à votre album ?
C’est un concept qu’on ne peut pas traduire. Le mieux, c’est d’écouter la musique. Il n’y a rien de pire que d’expliquer sa musique. Je n’ai pas besoin de l’entendre de qui que ce soit et donc je ne pense pas que qui que ce soit ait besoin de l’entendre nous concernant. Les gens peuvent prendre ce qu’ils veulent des morceaux. Ils n’ont pas besoin de sous-titres, ni d’images.
Tu n’aimes pas commenter ta musique ?
Étrangement, je pense que chaque auditeur a son histoire, son approche du morceau. C’est ma façon d’écouter la musique. J’adore les chansons de Bob Dylan mais je n’ai vraiment pas besoin qu’il me dise de quoi elles parlent. J’ai envie d’y entendre ce que je veux y entendre. Si Bob Dylan me dit de quoi elles parlent, je serais probablement énormément déçu. C’est mieux de ne pas le savoir !
Tu as vu The Velvet Underground, le documentaire réalisé par Todd Haynes ?
Je ne l’ai pas encore vu mais j’aimerais bien. Il n’est que sur Apple+ et je ne l’ai pas… donc j’attends qu’il soit disponible ailleurs.
Tu écoutes toujours le Velvet ?
Bien sûr ! Dans l’histoire du rock’n’roll, il y a seulement une poignée de groupes qui ont véritablement changé les choses et pour moi, ils en font partie. Les sixties sont hyper importantes avec les Doors, les Beatles, le Velvet Underground…
Tu te souviens de comment tu les as découverts ?
Quand le punk est arrivé dans les seventies, beaucoup de groupes parlaient du Velvet Underground. Jusqu’alors, je savais qu’ils existaient mais je n’ai jamais vraiment écouté… Donc quand le punk est arrivé, que des gens en parlaient de plus en plus, j’ai voulu acheter leurs albums, mais c’était impossible de les trouver à part d’occasion… Le back catalogue avait été liquidé.
Le premier album que tu as acheté ?
L’album à la banane. Ça a été un moment hyper important pour nous. On a été frappés. On a analysé tous les morceaux qui sont tous des singles. L’idée que Sunday Morning soit sur le même album que Heroin… c’est dingue.
Ils sont la raison pour laquelle vous avez décidé de faire de la musique ?
On avait déjà l’idée de faire un groupe. On faisait déjà de la musique, même si bien sûr, ça nous a aidé. Leur idée de ce qu’un groupe pouvait être nous a toujours accompagnés.
Comment avez-vous découvert la musique ? Vos parents en écoutaient ?
Pas vraiment, non. Nous n’étions même pas à Glasgow mais à East Kilbride. C’était isolé. On se sentait sur une autre planète. Perdus. Rien ne se passait chez nous. Dès qu’on a pu partir, on s’est cassés à Londres.
Vous achetiez des disques quand même ?
Oui, il y avait des disquaires ! C’était isolé mais il y avait des disquaires ! Mais tu devais aller en bus à Glasgow pour les concerts. On se sentait juste loin de tout. Je me souviens de notre première platine. On n’avait aucun disque à jouer. Un cousin nous a prêté des albums des Beatles et de Bob Dylan. On les a écoutés non stop. On était très jeunes à ce moment-là.
Quand avez-vous acheté des disques vous-mêmes ?
Dès qu’on a eu de l’argent, on a acheté des disques de punk et de glam rock. Mais on n’avait pas d’argent, donc on achetait peu de disques et on les partageait. Quand il a fallu se séparer et diviser notre collection bien plus tard, il y a eu quelques bagarres sur qui possède quoi…
Comment avez-vous trouvé la confiance de créer votre propre musique ?
Je ne sais vraiment pas. Le punk nous a donné la confiance. On écoutait de la musique très jeune. Les autres gens ne nous ressemblaient pas. Les Ramones, les Sex Pistols… Surtout les Ramones. Tu les écoutes et tu te dis : “Putain je peux le faire moi aussi.” Puis tu prends une guitare et tu te dis que ce n’est pas si facile, tout compte fait.
C’est ce qu’il y a de fantastique avec les Ramones : ils ont des morceaux incroyables qui sont faciles à jouer mais difficiles à créer ! On avait déjà essayé de créer de la musique, mais comme je l’ai dit plus tôt, c’est avec le Velvet qu’on a commencé à être plus concentrés.
Vous avez longtemps été assez désagréables avec la presse, le public, jusqu’à lui tourner le dos lors de vos concerts.
C’était du bluff. On n’avait aucune confiance en nous. Et que font les gens qui sont mal à l’aise et timides ? Ils surjouent. C’est ce qu’on a fait. On buvait beaucoup car on ne se sentait pas à la hauteur. On était timides, craintifs, modestes. Pour faire le boulot qu’on devait faire, on devait trouver du courage. Donc on buvait des bières pour se remonter le moral. C’est ce que les gamins font lorsqu’ils n’ont pas confiance.
À quel moment avez-vous cessé vos concerts de 15 minutes ?
Ces fameux concerts hyper courts de 15 minutes, je ne dirais pas qu’ils n’ont jamais existé. Mais il y en avait très peu… On s’en foutait un peu au début, on n’avait peu de public. Ça ne concernait que 50 types. Quand on a commencé à être plus sérieux, avec des vrais morceaux, un public qui réclamait des titres, on a compris qu’on ne pouvait pas faire une tournée en jouant 15 minutes. On a commencé à rallonger nos shows.
Fontaines D.C. a repris Darklands pendant le confinement. Vous l’avez écoutée ?
Oui je l’ai écoutée. Je l’ai vue sur Youtube je crois. C’est super ! C’est flatteur. C’est super que notre musique parle encore à de jeunes groupes.
Qui écoutais-tu, toi, en 1987 ?
On écoutait les Cure, Pixies, Cocteau Twins, The Birthday Party, Echo and the Bunnymen. On les adorait. Les années 1980, c’était de la merde, mais il y avait quand même quelques bons groupes.
Et My Bloody Valentine, vous en étiez proches non ? Vous avez tourné avec eux sur le Rollercoaster Tour en 1992, avec Blur et Dinosaur Jr.
On les connaît depuis des années. Je ne dirais pas qu’on est meilleurs amis mais ça va, j’aime bien leur musique.
Propos recueillis par Carole Boinet.
Darklands Tour le 5 décembre au Bataclan, le Lieu Unique (Nantes) le 9 décembre, La Cartonnerie (Reims) le 10 décembre, La Rodia (Besançon) le 11 décembre.
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