Recueil d’articles écrits sur près de trente ans par le plus célèbre chroniqueur du Nouvel Hollywood.
De Peter Biskind, on connaissait deux succès d’édition parmi les plus remarqués ces dernières années dans ce secteur amenuisé qu’est le livre de cinéma. Il y eut d’abord Le Nouvel Hollywood, en 2002, récit de la révolution que subit La Mecque du cinéma à la fin des années 60.
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Révolution esthétique bien sûr, mais aussi économique, politique et pour ainsi dire morale, puisque l’ex-rédacteur en chef du Première américain y détaille avec délectation les excès (drogues, sexes, alcool) de cette génération de wonderboys dont les chefs de file se nomment De Palma, Scorsese, Coppola, Cimino… Quatre ans plus tard, Biskind s’intéressait à la génération suivante.
Sexe, mensonges et Hollywood traite cette fois des mutations que connaît l’industrie hollywoodienne au mitan des années 80, avec la mise en place de nouveaux circuits de diffusion (chaque major développant sa propre filiale de films « indépendants ») et de légitimation (création du fameux festival de Sundance). Cette nouvelle donne permit l’éclosion de quelques cinéastes majeurs : Jim Jarmusch, Gus Van Sant, Todd Haynes…
Le risque d’une peoplisation de l’histoire
Biskind a déployé un souffle incontestable dans ces fresques historiques, construites sur un mode feuilletonnesque d’haletantes séries télé. Le revers de ces grands récits (surtout dans le premier ouvrage) était de privilégier excessivement les pistes biographiques, au risque d’une peoplisation de l’histoire et d’un penchant pour les révélations privées au bord du tabloïd. Du coup, on avait presque oublié que ce story-teller avait d’abord été un critique de cinéma, s’occupant à analyser des oeuvres plutôt qu’à raconter des vies.
C’est cette part méconnue de sa carrière que révèle ce troisième opus, intitulé Mon Hollywood. Il s’agit cette fois d’un recueil de textes divers écrits sur près de trente ans. La première partie, celle des années 70, est la plus théorique. On y trouve de longues études de films publiées dans des revues qu’on imagine pointues (Film Quarterly, Jump Cut ou carrément Socialist Review). Biskind y développe une approche critique très américaine, politisée, sociétale et profondément empreinte de gender studies.
Après un essai sur la figure du pouvoir dans l’oeuvre de Kazan, il s’étend sur l’homosexualité à peine refoulée dans Le Canardeur de Cimino ou encore sur les liens entre la représentation de la virilité et celle de la condition ouvrière dans le cinéma américain. Le style est un peu pesant, mais l’analyse rigoureuse, argumentée, émaillée de notations bien vues.
Le parcours des agents, des producteurs, ces stratèges de l’ombre
Si cette partie intéresse parce qu’elle lève le voile sur un Biskind ignoré et qu’elle nous documente sur ce qu’a pu être la critique idéologique américaine des années 70, c’est quand même dans la seconde partie, constituée essentiellement de grands portraits pour Première ou Vanity Fair, qu’éclate la virtuosité de Biskind. Son talent tient bien sûr à son sens de la charpente narrative, qui lui permet de dérouler une vie entière au rythme d’une trépidante nouvelle. Mais aussi à la pertinence des choix de sujet. Plutôt que d’élire des stars ou des artistes de premier plan (comme dans Le Nouvel Hollywood), c’est au parcours des stratèges de l’ombre que s’intéresse ici Biskind : des agents, des producteurs…
On suit par exemple la trajectoire romanesque de Don Simpson, producteur de Flashdance et de Top Gun, sacrifié sur l’autel – recouvert de rails de cocaïne – des années 80. En quinze ans, on le voit au pinacle puis s’effondrer jusqu’à devenir une énorme baleine dépressive, échouée, aux prises avec toutes les addictions. Mais notre chouchou est la tonitruante Sue Mengers, agent de stars, qui tient le Tout-Hollywood seventies dans sa main (ses clients sont Barbra Streisand, Brian De Palma, Ryan O’Neal, Burt Reynolds, etc.). Mais cette reine secrète d’Hollywood, qui avait le pouvoir de monter un film en deux heures, ne voit pas l’époque changer et se fait torpiller par les années 80.
Le livre est lui-même le récit en creux d’un trajet de vie. En moins de cinq cents pages, on y voit un jeune critique occupé à déconstruire la figure du pouvoir chez Elia Kazan devenir le portraitiste tour à tour lyrique et cruel des grandeurs et décadences des puissants.
Jean-Marc Lalanne
Mon Hollywood de Peter Biskind (Le Cherche Midi), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Marie-Mathilde Burdeau, 478 pages, 21€.
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