Après le splendide “Drive My Car”, Ryūsuke Hamaguchi signe “Contes du hasard et autres fantaisies”, un nouveau film tout aussi réussi, récompensé dimanche 28 novembre au festival nantais.
Avant même de voir Contes du hasard et autres fantaisies, on voyait mal comment la récompense suprême pouvait échapper à son réalisateur et enfant chéri du festival nantais, Ryusuke Hamaguchi. Au sein d’une compétition où il faisait figure de poids lourd (avec un film déjà récompensé à la Berlinale face à une majorité de primo-cinéastes), la Nippon a raflé le prix du public et la Montgolfière d’or.
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Il faut dire c’est à Nantes que Hamaguchi a véritablement lancé sa carrière internationale en 2015 avec, déjà, le prix du public et la Montgolfière d’argent attribués à Senses (l’or avait été décerné au Kaili Blues de Bi Gan, autre découverte majeure que l’on doit au Festival des Trois Continents).
Hamaguchi au sommet
Après avoir vu le film, on ne peut que donner raison au jury entre autres composé du producteur et distributeur Saïd Ben Saïd et de la comédienne Agathe Bonitzer. Le nouveau film de Hamaguchi est une splendeur. Dans une forme plus minimaliste que celle de l’ample Drive My Car sorti cet été, Contes du hasard et autres fantaisies compile en deux heures trois récits indépendants les uns des autres, d’une durée quasi égale et écrits par le cinéaste.
Il y est question d’un triangle amoureux tout rohmérien, de la tension érotique existant entre un romancier et une admiratrice et enfin de la rencontre entre deux femmes qui croient à tort avoir chacune retrouvé une ancienne camarade de classe, dans un contexte où un virus informatique a fait planter l’internet mondial. À chaque fois, le film avance sur deux plans, celui de l’image et du son, et aussi celui qui se déroule dans l’imaginaire que déploie la parole des personnages ; le récit d’une passion, la lecture d’un extrait de roman, un souvenir d’enfance.
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Réalisé en deux temps, à cheval sur la pandémie et le tournage de Drive My Car, ce nouveau film est peut-être encore plus impressionnant que le précédent. L’absence de l’assise scénaristique du roman aux multiples lectures de Murakami et la légèreté des situations (comparée à la nature profondément tragique de Drive My Car) génère un dépouillement qui rend l’immense talent de Hamaguchi d’autant plus visible.
La finesse et l’économie de sa mise en scène, la façon extrêmement aiguisée avec laquelle, à partir d’un canevas d’une simplicité déconcertante, il touche à la mécanique enfouie des êtres, en fait véritablement l’un des plus grands cinéastes en activité. Ce qui impressionne aussi dans Contes du hasard et autres fantaisies, c’est la manière très alerte avec laquelle Hamaguchi inscrit son film dans notre époque. Dans le troisième segment science-fictionnesque, il prend le contre-pied du Covid-19 avec ce virus qui désertifie l’espace virtuel, tandis que dans le second, il effleure du bout des doigts l’épineuse problématique liant érotisme et rapport de domination.
Trois premiers films récompensés
Le reste du palmarès a récompensé trois premiers films de fiction : A New Old Play du Chinois Qiu Jiongjiong, fascinante fresque d’un demi-siècle d’histoire chinoise vue à travers les yeux d’un clown arrivant aux portes de l’enfer, est le prix du jury jeune, tandis que Pedro de Natesh Hegde et Shankar’s Fairies d’Irfana Majumdar, deux films indiens, l’un audacieux, l’autre plus convenu, ayant pour toile de fond les inégalités de classe, ont remporté ex-aequo la Montgolfière d’argent.
Dans les sections parallèles qui célébraient plusieurs anniversaires – les 20 ans des ateliers Produire au sud créés par le festival, les 70 ans des Cahiers du cinéma et les 100 ans de la société de production Shōchiku –, on retiendra la séance de Mademoiselle Ogin de Kinuyo Tanaka, immense actrice et cinéaste méconnue. N’ayant rien à envier aux plus belles épopées historiques de Kurosawa, ce film de 1962 nous plonge dans le Japon médiéval du XVIe siècle et suit le destin tragique de la fille d’un maître du thé, mariée de force et persécutée à cause de son amour pour un seigneur chrétien tombé en disgrâce. Outre une photographie et des décors somptueux, le film impressionne par sa capacité à filmer l’implacable violence des hommes entre eux et surtout sur les femmes. Renvoyant dos à dos le code d’honneur des samouraïs et le caractère épique de leur “exploit”, Tanaka ne met jamais en scène un rapport de domination comme s’il était naturel. Elle en éclaire la nature à la fois tyrannique et tristement prosaïque. On se réjouit déjà de la rétrospective qui lui sera consacrée le 16 février prochain.
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