Ricciotto Canudo, drôle de personnage intuitif et inventeur de l’appellation certifiée conforme de “septième art”. L’édition des livres sur le cinéma permet parfois d’exhumer des oubliettes de l’histoire des figures ancestrales et méconnues qui, pourtant, ont leur importance dans la compréhension critique des choses de l’écran. Dernier exemple en date, Ricciotto Canudo, figure emblématique du […]
Ricciotto Canudo, drôle de personnage intuitif et inventeur de l’appellation certifiée conforme de « septième art ».
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L’édition des livres sur le cinéma permet parfois d’exhumer des oubliettes de l’histoire des figures ancestrales et méconnues qui, pourtant, ont leur importance dans la compréhension critique des choses de l’écran. Dernier exemple en date, Ricciotto Canudo, figure emblématique du début de ce siècle qui arborait un curriculum vitæ du genre excellemment fourni. Poète, romancier, philosophe, féru de musique et de littérature, cet étrange personnage fut aussi l’un des premiers à s’intéresser au cinématographe. L’intégralité de ses articles, critiques et chroniques, aujourd’hui regroupés en un unique recueil, constitue sans doute actuellement l’une des contributions les plus stimulantes à la pensée sur le cinéma. A cela plusieurs raisons. D’abord l’intérêt historique stricto sensu. Restitution à nos yeux vaguement mélancoliques d’une époque où l’ébullition intellectuelle et l’agitation autour de l’avant-garde n’étaient point de vains concepts, où l’apparition du cinéma, en l’occurrence, ne manquait pas de provoquer controverses et débats. Mais au fil des pages, on découvre surtout une véritable pensée singulière qui bivouaque dans les entrelacs d’un art nouveau et déjà en mutation. Une pensée qui a le courage de ne pas camoufler ses hésitations et son inquiétude derrière de rassurants paravents de poncifs.
Ainsi, loin de s’émerveiller béatement devant toutes les images qui bougent, Canudo tente essentiellement de saisir la quintessence artistique et morale de ce qui se trame avec l’invention des frères Lumière autant dire que la critique selon Canudo ne rime absolument pas avec cuménisme. S’il voit dans le cinéma un aboutissement formel inépuisable, un « art total », cela n’implique nullement qu’il considère avec la même bienveillance toutes les images à portée de regard. D’où une tentation constante celle de tout critique qui se respecte de classer, défricher, dégager le bon grain essentiel de l’ivraie superflue. Où l’on découvre que Canudo développait en son temps des intuitions qui n’allaient cesser de nourrir les clivages à venir : par exemple, pointer qu’une certaine gestuelle typiquement américaine (Fairbanks, Chaplin) était de loin plus essentiellement cinématographique que le cabotinage français, pâle reproduction sur pellicule des clichés du théâtre de boulevard.
Canudo traque avant tout les singularités formelles : ce qui fait que le cinéma est spécifiquement cinéma et non reproduction sur grand écran de formes empruntées aux autres domaines artistiques. Simultanément, et peut-être inconsciemment, il cherche également à comprendre les raisons d’un engouement personnel. Ce qui contribue à la tonalité non seulement moderne de ses textes mais aussi à leur aspect absolument familier. Conséquence heureuse : la facilité de lecture de l’ouvrage. Aux antipodes de certaines sommes théoriques qui tombent souvent des yeux et des mains. Où l’on constate que les réflexions majeures d’un Bazin ou d’un Deleuze étaient déjà en germe à l’orée de ce siècle. Et où l’on remarque, un poil amusé, que l’éternel hiatus cinématographique entre l’art et le commerce était déjà singulièrement d’actualité dans les années 20. Constitué de textes courts, souvent écrits avec une fougue acide et une ironie cinglante, la lecture de L’Usine aux images s’avère essentielle pour quiconque s’intéresse de près à l’histoire théorique du cinéma.
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