A Marseille, après la plaidoirie assassine d‘Arnaud Montebourg contre la fédération locale dirigée d‘une main de fer par le clan Guérini, les langues ont du mal à se délier. Et la direction du PS semble peu pressée de remettre de l‘ordre.
Plus belle la vie des socialistes marseillais. L’histoire de la quatrième fédération française a des airs de soap opera. Depuis la révélation de l‘enquête sur les marchés publics présumés frauduleux de la communauté urbaine, qui a mené Alexandre Guérini, le propre frère du président socialiste du conseil général Jean-Noël, en prison, pas une semaine sans un rebondissement, une révélation dans la presse.
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Et voici que désormais l‘attaque vient de l‘intérieur du PS. Avec le fameux Rapport de constatation sur les pratiques de la fédération des Bouches-du-Rhône, dit “rapport Montebourg“, dévoilé la semaine dernière. Le court texte du candidat à la primaire socialiste dézingue à tout-va. Rédigé après un bref passage à Marseille, en juin 2010, la plaidoirie de l‘avocat énumère une longue liste de griefs. Clientélisme, chantages à la subvention envers les élus, intimidations physiques… Et un réquisitoire : la mise sous tutelle de la fédé, la destitution de ses dirigeants dont Jean-Noël Guérini.
L’homme fort de la région, que la rue de Solférino aimait courtiser, apparaît aujourd‘hui, déprimé. « Nono », surnom que Jean-Noël Guérini déteste, “a des coups de blues“, confesse un proche.
“Même le voyage à Istanbul, fait pour lui changer les idées au moment des fêtes ne l‘a pas remis d‘aplomb. Il faisait, il est vrai, un peu frais.“
L’arrestation de son frère Alexandre lui a mis un coup. Corruption, abus de biens sociaux et détournements de fonds publics. Les charges retenues contre son cadet, toujours membre du bureau fédéral du PS sont lourdes. La salve de Montebourg à l’encontre de la fédération et de Jean-Noël Guérini fait quasiment écho à ces accusations.
Selon le rapport, “le cabinet du conseil général a toujours considéré la fédération comme son apanage et son bien“.
« Toutes les décisions sont prises au 9e étage du conseil général, l’étage du président », confirme aux Inrocks un ancien permanent de la fédération. « D’ailleurs, l’actuel président de la communauté urbaine, Eugène Caselli, y avait son bureau quand il officiait comme premier secrétaire de la fédération. »
Les multiples leviers de cette mainmise sont également évoqués par Montebourg. Emplois publics, distributions de subventions aux associations ou aux élus via le mirifique budget du conseil général ou encore intimidations physiques. Autant d‘éléments sur lesquels les gendarmes mandatés par le juge Charles Duchaine enquêtent actuellement dans le cadre de la procédure sur les marchés publics. Dans leurs viseurs précisément, une myriade d’associations subventionnées par le conseil général, logée à la même adresse que le QG de campagne de Jean-Noël Guérini lors des municipales de 2008.
“Pas la peine d‘aller chercher jusque-là vous savez, note un vieux routier de la politique marseillaise. Il suffit de regarder comment ont été constituées les listes des dernières élections régionales. La majorité des gens était employée au conseil général. »
Et encore, l‘enquête judiciaire a empêché Alexandre Guérini de se présenter sur les listes aux élections régionales de 2010…
« Ce rapport Montebourg est en-deçà de la réalité »
Quant aux intimidations, une scène est fort bien décrite par Arnaud Montebourg : la réunion du groupe des élus socialistes au conseil municipal du 17 mars 2010. Jean-Noël Guérini, doctement, explique aux élus présents qu’il dispose d’écoutes les concernant, qu’il les soupçonne d’être à l’origine de l’enquête judiciaire ! “Je sais avec qui vous parlez, je sais quels journalistes vous voyez, j‘ai même le texte de vos SMS…“ “Cette réunion je m‘en rappelle, il y a même eu un enregistrement sonore on s‘y croirait“, rigole sur une terrasse du Vieux-Port un vieil élu socialiste. Avant d‘embrayer : « Franchement, ce rapport Montebourg est en deçà de la réalité et tout cela n’est pas neuf. »
Les soap-operas font aussi dans la resucée… En novembre 2008, le Sénateur Yannick Bodin avait pondu un rapport cinglant sur les pratiques de vote dans la fédération des Bouches-du-Rhône lors du scrutin pour les motions du congrès de Reims. « L’agressivité » des élus de la fédération avait choqué les observateurs, Jean-Noël Guérini trouvant même « insultante » leur présence.
Les socialistes marseillais n’ont pas moufté après le rapport Montebourg. Ou anonymement. “C‘est une ambiance de guerre de tranchées, ils savent que s‘ils sortent la tête, ils se prennent une balle, analyse un proche des barons locaux. Jean-Noel Guérini contrôle les investitures, alors ils attendent que le fruit tombe, que la justice passe.“
Eux, ce sont les barons du parti. Patrick Mennucci, qui guigne un siège de député en 2012, reste muet. Sylvie Andrieux ou le président Michel Vauzelle empêtrés dans l’affaire des subventions détournées du conseil régional, se taisent. Quant à Michel Pezet, autre figure historique du socialisme local, il refuse depuis vingt ans tout poste au sein de la fédération. Tous attendent que le premier rôle, Jean-Noël Guérini, quitte la scène, rattrapé par les affaires. “La réaction de Martine n’incite pas à réagir“, se justifie l’un d’eux.
Aubry coincée en pleine primaire
Aubry a demandé “à laisser faire la justice“ et pointé le manque de précision du rapport d’Arnaud Montebourg.
“En pleine primaire, elle est bloquée par la puissance de Jean-Noël Guérini, résume un élu marseillais. 6000 cartes au moment de la désignation du candidat à la présidentielle, cela comptera.“
Une porte ouverte à la contre-attaque. Jean-Noël Guérini et la fédération ont porté plainte en diffamation contre Montebourg, exigé une commission d‘enquêtes aux instances nationales. Accordée ! Selon Benoît Hamon, porte-parole du PS, la commission devrait remettre ses conclusions avant l‘été. Une façon de jouer la montre…
Petite victoire, la fédération va, au moins, appliquer les statuts du PS. Intronisé président de la fédération en 2010, poste qui n‘existe pas chez les socialistes, puis cumulard du poste de premier secrétaire fédéral et boss du département, double fonction interdite, Guérini va revenir à un peu d‘orthodoxie. Conformément à l‘article 9, le candidat à la présidence du conseil général sera nommé après un vote des militants, entériné par le conseil fédéral. Du cousu main pour le patron ? “Le scénario est écrit, se lamente un concurrent, ce sera lui“. A moins d‘un nouveau rebondissement, auquel croit l‘entourage d‘Arnaud Montebourg, persuadé que Jean-Noël Guérini ne pourra conserver son siège de président du conseil général.
Le sacre est prévu le 30 mars prochain à bord du vaisseau bleu de l‘hôtel du Département des Bouches-du-Rhône. Le 1er avril sera jugé en appel le maintien en détention de son frère Alexandre Guérini. Poisson d‘avril en vue dans le soap-opera marseillais ?
Xavier Monnier
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