Avec son podcast “Free from desire“, la journaliste militante asexuelle et aromantique Aline Laurent-Mayard lutte contre la normativité des désirs.
Cela fait dix ans qu’Aline Laurent-Mayard, journaliste, œuvre pour la visibilité des personnes LGBTQIA+ dans la société – et particulièrement celle des personnes asexuelles et aromantiques, communauté à laquelle elle appartient et pour laquelle elle milite. Après un ouvrage sur le genre sorti en octobre dernier (Le genre expliqué à celles et ceux qui sont perdu·es, éd. Buchet-Chastel), elle dévoile Free from Desire chez Paradiso. Un podcast intime et introspectif dans lequel elle livre son propre parcours de personne dite “ace”, ou asexuelle – depuis sa construction genrée et identitaire enfantine à son rôle de parent célibataire épanoui·e aujourd’hui.
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Lorsqu’elle enregistre les huit épisodes de Free from Desire, elle a 34 ans et le ventre rond – point de départ d’une réflexion plus vaste, non seulement sur le désir mais aussi la place du couple, de l’amitié et la conception de la famille aujourd’hui. Que nomme-t-on “bonheur” et sous quelles conditions ? Que camoufle-t-on derrière l’appellation amour ou attirance ? Un parcours à la première personne permettant à tous·tes d’inventer nos propres modèles.
Pourquoi avoir choisi le format podcast ?
Aline Laurent-Mayard – Le podcast est un espace historiquement queer et féministe. C’est un milieu et un format que j’apprécie parce qu’il offre une certaine intimité. On peut l’écouter partout : dans le métro, dans son bain, dans la cuisine… C’est sans image ce qui permet de se reconnaître plus facilement dans le récit. Il propose de rendre plus pédagogique et joyeux des sujets compliqués, grâce à la voix, l’humour, l’ambiance.
Quel fut le point de départ de Free from Desire ?
Je suis partie de ma propre expérience, j’ai mis longtemps à découvrir l’asexualité faute d’articles existants. Les rares disponibles étaient généralement incomplets ou incorrects, voire totalement à côté de la plaque, bourrés de clichés type “si tu n’as pas de désir sexuel, tu n’as pas de désir de vie tout court” ; relayant l’idée que les personnes asexuelles n’ont pas de vie sexuelle ; ou encore qui confondent asexuel·le et asexué·e. J’ai mis longtemps à réunir les infos nécessaires. Être asexuel·le ne veut pas dire qu’on ne peut pas être heureux·se, amoureux·se ! Je voulais donner des infos sur l’attraction sexuelle et le romantique, sur pourquoi on confond les deux, et participer à défaire l’injonction du couple hétéro qui baise trois fois par semaine. J’ai voulu traiter plus largement de ce que l’on appelle la “contrainte à la sexualité”.
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Quelles étaient les grandes questions que vous vouliez traiter ?
D’abord, la pression à la sexualité qui laisse des traces chez les gens. Mais aussi, comment on négocie le couple, ce qu’est l’attraction romantique, la place des célibataires dans notre société, ainsi que celle de l’amitié. Pourquoi ne pourrait-on pas donner des biens à nos amis en héritage ? Pourquoi ne valider qu’une forme de famille et non sa famille de cœur ? Pourquoi érige-t-on en modèle le couple romantique alors qu’il représente une anomalie historique et une construction sociale ? J’aimerais aussi aider à mieux comprendre ce qu’est l’amour romantique, que l’on ne le confonde plus avec de l’amour amical, de l’admiration ou un besoin d’appartenance, et aider à naviguer entre tous ces genres de sentiments. Des sentiments que l’on n’est pas encouragé·es socialement à comprendre, mais que l’on ressent.
L’asexualité est-elle une orientation sexuelle ou une identité ?
L’asexualité est une orientation sexuelle, au même titre que l’hétérosexualité ou la bisexualité, puisqu’elle indique par qui on est attiré. Dans ce cas : personne. Enfin, personne… C’est un spectre. Il y a des personnes qui sont attirées sexuellement par des gens que dans certains contextes (greysexualité) ou encore par des personnes avec qui elles ont déjà un lien fort (demisexualité). Et comme chaque orientation sexuelle, elle est aussi une identité. Pour certains penseurs et penseuses ace, l’asexualité peut aussi être vue comme un outil. Un mot et une communauté dont on se saisit quand on en a besoin. Qu’importe si on a déjà été attiré·e sexuellement par des gens avant : l’important, c’est que l’asexualité, sa communauté, les discussions qui y ont lieu, les modèles de vie alternatifs qu’elle présente fassent du bien là maintenant. Et on peut arrêter de s’en revendiquer si on trouve qu’elle ne nous sied plus. C’est ce qu’Angela Chen dit dans mon podcast : “si on accepte le fait qu’il n’y a rien de mal, d’intrinsèquement problématique avec le fait d’être gay ou le fait d’être asexuel. Alors pourquoi ce serait un problème de faire ce choix ?” C’est assez révolutionnaire comme façon d’appréhender une orientation sexuelle
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L’asexualité est-elle une identité queer ?
L’expérience des personnes peut être comparable à celles des gens bi ou homo, dans le sens où il s’agit parfois de personnes se sentant mal dans la société, qui craignent pour leur futur, pensent ne jamais réussir à être heureux·euse ou devoir se forcer à rentrer dans une case. On parle également d’autoviolence, de violence subie, de viols correctifs. Les personnes asexuelles sont le deuxième groupe LGBTQIA+ avec le plus haut taux de suicide après les personnes trans. Et n’oublions pas que le A de LGBTQIA+ nous désigne ! Et, de façon plus positive, il y a aussi souvent une volonté comme dans toutes identités queer, de penser la société loin des injonctions, de se débarrasser du patriarcat dans les relations, de créer des relations en dehors des schémas hétérosexistes. Et quelle joie quand l’on trouve enfin sa communauté !
Cela rappelle que l’on peut faire une famille même si l’on est célibataire, que l’adoption, la coparentalité et autres sont quelques unes des façons de faire famille.
Cela dit, certaines personnes soulignent que l’on ne risque pas de se faire agresser dans la rue en raison de notre asexualité. Oui, notre asexualité ne se voit pas – on surnomme d’ailleurs parfois l’asexualité “l’orientation invisible” – mais on se prend quand même l’hétéronormativité en pleine figure de façon quotidienne – dans les boutiques si j’achète des sous-vêtements, on me dira souvent “ça plaira à votre copain”, et si je réponds que je n’en n’ai pas, on me répond “vous en aurez un” ! Dans les films et séries, personne ne nous ressemble, la sexualité est partout et son absence moquée !
Vous avez posé avec votre ventre rond sur le visuel du podcast, était-ce un choix militant ?
J’ai posé enceinte d’abord tout simplement parce que j’étais enceinte pendant la réalisation de ce podcast, et puis les gens trouvaient ça très intéressant et jamais vu dans les médias de voir une grossesse entièrement choisie par une personne qui n’a pas envie d’être en couple. Cela rappelle que l’on peut faire une famille même si l’on est célibataire, que l’adoption, la coparentalité et autres sont quelques unes des façons de faire famille. J’aimerais donner de la visibilité à ce que l’on nomme maladroitement une “famille atypique” !
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