Véritable symphonie de la matière, ce film raffiné et esthétique provoque une tension sans faille. “On ne résiste pas à la nature”, résume le personnage principal, un entomologiste égaré dans une sorte d’entonnoir géant creusé dans le sable où se trouve la maison d’une femme qui l’héberge, avant d’en faire son amant et prisonnier avec […]
Véritable symphonie de la matière, ce film raffiné et esthétique provoque une tension sans faille.
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« On ne résiste pas à la nature », résume le personnage principal, un entomologiste égaré dans une sorte d’entonnoir géant creusé dans le sable où se trouve la maison d’une femme qui l’héberge, avant d’en faire son amant et prisonnier avec la complicité des habitants de cette région désolée du Japon. Luttant contre ceux qui l’ont enfermé dans ce piège, l’homme va également partager l’incessant combat de la femme contre le sable qui envahit inexorablement sa maison.
Film fortement sensuel, La Femme des sables célèbre sur un même plan le corps humain, détaillé par de gros plans macroscopiques sur les cheveux, la peau, les ongles, etc. et la matière non organique le sable, le bois, l’eau. Les grains de sable se mêlent intimement au grain de la peau… Ce qui surprend n’est pas le constat résigné du cinéaste sur la condition humaine (la liberté individuelle est une notion relative), ni ses métaphores entomologiques, mais le raffinement graphique de ses images qui frôlent l’abstraction. Jamais un cinéaste n’avait donné une aussi grande ampleur à une matière minérale dans une œuvre de fiction, et cela avec d’infinies variantes : une croûte de sable qui se fissure de différentes manières, une surface ondulée ou striée avec régularité qui adopte les formes les plus étranges au gré du vent. Le noir et blanc a rarement exprimé autant de nuances, de variations plastiques. Ceci allié à un montage audacieux et à la musique extrêmement épurée et modulée du musicien contemporain Toru Takemitsu, qui confère à cette symphonie de la matière une tension sans faille…
Il va de soi qu’un tel raffinement esthétique qui n’est pas purement formel puisqu’il inclut la palpitation de la vie et la rage du désir humain est lié à la formation du cinéaste dans les arts plastiques. De fait, Hiroshi Teshigahara, né en 1927, fils d’un maître en ikebana (art floral), étudie les beaux-arts et fréquente des surréalistes japonais. Il ne tournera que six films en vingt-sept ans et sera connu en Occident essentiellement pour son deuxième film, cette Femme des sables, qui obtient le grand prix du Jury à Cannes en 1964. Des échecs commerciaux successifs l’amènent à abandonner le cinéma en 1972 et à se consacrer à la poterie, à la sculpture et à l’ikebana. Il réussit cependant à tourner un nouveau film (inédit en France) en 1989, Rikyu, le maître de thé, œuvre intense qui prouve que son cinéma, en délaissant les effets graphiques de ses débuts, atteint une sérénité quasi philosophique. On ose espérer que la découverte de son œuvre, déroutante car elle ne se soucie pas des conventions psychologiques chères aux Occidentaux, ne sera pas posthume, comme ce fut le cas pour Ozu et Naruse…
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