Les Rendez-vous de Paris d’Eric RohmerDans cinquante ans, les cinéphiles japonais verront peut-être dans Eric Rohmer un Ozu français : monomaniaque austère et authentique, rigoureux dans ses mises en scène comme dans ses explorations de la rhétorique amoureuse. Doit-on pour autant crier au miracle à chacun de ses films ? Non. Dans Les Rendez-vous de […]
Les Rendez-vous de Paris d’Eric Rohmer
Dans cinquante ans, les cinéphiles japonais verront peut-être dans Eric Rohmer un Ozu français : monomaniaque austère et authentique, rigoureux dans ses mises en scène comme dans ses explorations de la rhétorique amoureuse. Doit-on pour autant crier au miracle à chacun de ses films ? Non. Dans Les Rendez-vous de Paris, Rohmer reprend le mode de Quatre aventures de Reinette et Mirabelle (1986) : le film à sketches. Trois équations sur le thème : rendez-vous + badinage amoureux. Dès le titre, assez suranné, on subodore le produit d’exportation. En effet, la propension touristique du film devient agaçante dans l’épisode numéro 2, Les Bancs de Paris. Un prof de lettres (sosie de Rohmer jeune) et une jeune fille multiplient les rencontres en plein air car celle-ci refuse d’aller chez lui et de passer franchement à l’acte. Du coup, le prof est obligé d’entreprendre la jeune fille dans divers lieux publics et livre une incessante joute oratoire à la jouvencelle un peu perverse. Leurs ergotages respectifs sont égayés par certains gestes de la donzelle qui caresse un régime de bananes (serres d’Auteuil) ou enjambe une rampe tubulaire très phallique (jardin de La Villette).
Ce qui gêne, c’est l’aspect quasi mathématique du système rohmérien. Dans Le Rendez-vous de 7 h, il s’agit plus de géométrie que de logique : Esther a été informée que son amant Horace (références théâtrales) a des vues sur une autre jeune fille. Elle donne donc rendez-vous à un inconnu pour attiser la jalousie d’Horace. Le stratagème n’aboutit pas en raison d’un coup de théâtre par lequel Esther confondra encore plus sûrement le coupable. Des coïncidences artificielles permettent au réalisateur de peaufiner ses mignardises sur l’inconstance des femmes et l’inconsistance des hommes, inscrites sur des arrière-plans parisiens bien réels, mais sans densité. Car le cinéaste évite toute confrontation avec le social, l’âpreté de la rue. Pas une ombre au tableau de ce Paris à la Chirac, ni méchant dealer ni inquiétant métèque à l’horizon. Ceux qui font la manche ne sont pas SDF, mais chanteurs de rue sortis du musée Grévin. L’intrigue avance souvent par de purs prétextes scénaristiques. Pour paraphraser Bergson, Rohmer plaque de la mécanique sur du vivant ; les rouages bien huilés des arguties amoureuses, les calculs de jeunes filles qui gèrent leurs transactions amoureuses comme un compte en banque.
Le troisième épisode Mère et enfant, 1907 met en scène un jeune peintre et deux jeunes femmes. Bien que la peinture soit un véritable élément du dispositif, elle sert surtout de tremplin aux pulsions libertines du jeune homme. Comme dans les autres sketches, les tentatives de séduction de celui-ci seront réduites à néant. La beauté de la démonstration prime sur les aléas du vivant. Car jamais le cinéaste ne lâche la bride au hasard. Les trajectoires de ses héros sont prédéterminées par un schéma implacable. Or, les films de Rohmer nous touchent quand les créatures échappent un instant à la main de fer de leur créateur. Exemples : la sensiblerie émouvante de Marie Rivière dans Le Rayon vert, l’irrésistible préciosité d’Arielle Dombasle dans L’Arbre, le maire et la médiathèque, la maladresse d’Hugues Quester quand il coupe des tomates dans Conte de printemps. Autant de caractères typés, de moments maladroits, voire ridicules, qui font la séduction discrète mais entêtante du meilleur Rohmer. Dans Les Rendez-vous de Paris, ces échappées charmantes sont plus rares. Trop de maîtrise nuit parfois.
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