Avec L’Amour puis Sabine, deux films produits et diffusés par Arte, on avait repéré Philippe Faucon, réalisateur possédant la juste distance documentaire et le don de captation des moments fugitifs. Fidèle à Arte, le revoilà avec Muriel fait le désespoir de ses parents, film sensuel et léger. Ou comment construire une belle oeuvre de cinéaste […]
Avec L’Amour puis Sabine, deux films produits et diffusés par Arte, on avait repéré Philippe Faucon, réalisateur possédant la juste distance documentaire et le don de captation des moments fugitifs. Fidèle à Arte, le revoilà avec Muriel fait le désespoir de ses parents, film sensuel et léger. Ou comment construire une belle oeuvre de cinéaste en ne tournant que pour la télévision.
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Cela fait belle lurette qu’on n’avait pas vu un film aussi léger. De cette légèreté fragile qui touche à la grâce. Un enregistrement pur et délicat, et pourtant jamais apprêté ni sophistiqué. Rien ne pèse (ni les acteurs ni la caméra) et rien n’est posé. D’emblée, les corps et les voix s’offrent à nous avec un naturel insolent. C’est tout, et c’est beaucoup. Muriel fait le désespoir de ses parents est un drôle de film: un téléfilm en vérité, et ceci explique peut-être cela. On y retrouve ce même souffle de vie salutaire qui traversait la fameuse collection Tous les garçons et les filles de leur âge. Des trajets d’adolescents, un espace à conquérir, un étourdissement des sens, de la danse et de la musique. L’œuvre de Philippe Faucon est sans doute moins ambitieuse que celle de Mazuy ou d’Assayas. Mais les liens sensuels que sa mise en scène tisse avec les actrices la rendent précieuse. Sous le voile de sa fiction minimale, Muriel fait le désespoir de ses parents découvre en effet un beau documentaire intimiste : l’expérience d’un désir réciproque qui circule de chaque côté de la caméra.
Cette affinité élective avec des acteurs qui oublient généreusement de l’être (attitude rarissime) était déjà perceptible dans les deux premiers films de Philippe Faucon. L’Amour (1990) captait les attentes sentimentales et sexuelles d’adolescents de banlieue. Le minimalisme de la mise en scène, la tchatche, les regards, les gestes spontanés des filles et des garçons donnaient au film un caractère ethnographique. L’ensemble était un peu bancal, le regard trop timide parfois, mais la fraîcheur était là. Avec Sabine, un téléfilm lui aussi, Faucon devient un véritable cinéaste. Le sujet n’était pas facile pourtant: la vie d’une jeune mère entraînée dans un processus terrible de déréliction (came, prostitution, sida). Une destinée décomposée en fragments, scrutée à travers une mise en scène extrêmement rigoureuse, à la fois distancée et incisive, exempte d’obscénité. Le style clair et elliptique créait des effets de réel étranges. Dus aussi à la présence-absence troublante d’une actrice nommée Catherine Klein.
« Après Sabine, raconte le cinéaste, j’ai eu le désir de retravailler avec Catherine. Je voulais qu’elle montre d’autres possibilités de son jeu qu’elle n’avait pas pu exprimer. Ce film était très chargé et je voulais changer de registre, aborder une fiction qui soit plus du côté de la vie et du plaisir. Catherine m a alors raconté une histoire qui a servi de point de départ à Muriel fait le désespoir de ses parents. Nous avons écrit un scénario en commun. Le film a failli se faire dans le cadre de la série Tous les garçons et les filles de leur âge. Et c’est Catherine qui devait le réaliser… Finalement, on s’est mis d’accord sur autre chose. J’ai tourné avec elle et, de son côté, elle a réalisé un court métrage, Le Ravin, à partir d’un épisode qu’on pensait incorporer dans le film. C’est un court métrage que j’aime beaucoup et qui témoigne à mon sens de vraies qualités de cinéaste. »
Muriel fait le désespoir de ses parents capte doucement les multiples inclinations qui rapprochent le personnage éponyme et Nora. Deux filles inséparables, âgées de 17 ans, aux caractères bien distincts, mais qui s’accordent comme un oxymore. Nora rayonne, vive comme le feu. Sa couleur est le rouge. On la voit danser avec la caméra, chanter à tue-tête, brancher et séduire tout ce qui bouge. En retrait, silencieuse et d’une blancheur ophélienne, Muriel contemple sa copine, envie son ardeur et son aisance. Le plus souvent, elle semble ailleurs : en vérité, c’est elle qui affirme le plus ses désirs. Elle annonce à sa mère, alors à deux doigts de la syncope, qu’elle « préfère les filles aux garçons ». Et quand Nora l’embrasse voluptueusement « comme ça, pour déconner « , elle lui reproche de ne pas aller plus loin. Bref, Muriel aime Nora et Nora ne sait pas trop ce qu’elle veut. Mais l’histoire compte assez peu. Faucon s’attache surtout à faire surgir les pulsions et les plaisirs de ses personnages en filmant, de la manière la plus sensuelle qui soit, les corps et les visages de ses comédiens. « J’ai essayé de saisir la vérité des comédiens dans leur rapport au personnage, à la fiction, aux autres comédiens. Il y a une vie qui est propre au film et qui produit des choses inattendues… En peinture, quand on met un bleu et un orange l’un à côté de l’autre, ça déclenche un phénomène particulier: le bleu change de nature, etc. C’est la même chose dans le montage, mais aussi entre les comédiens. Bresson explique tout ça très bien dans Notes sur le cinématographe. »
Muriel fait le désespoir de ses parents réserve ainsi de surprenants moments de vérité éphémère, qui auraient été sans doute brouillés avec des acteurs professionnels. Certes, Catherine Klein a déjà de l’expérience, mais sa grâce mystérieuse produit toujours le même effet de vertige indéfinissable. Les mots de Serge Germany possèdent autant de souplesse que son corps ; cela ne l’empêche nullement de produire le ronflement le plus drolatique du monde. Quant à Dominique Perrier (par ailleurs réalisatrice, elle aussi, d’un court métrage remarquable intitulé Léonce) c’est tout bonnement la révélation de l’année. Avec son punch et son foulard à l’effigie de Lénine, elle est capable de tout. On espère sincèrement qu’elle gardera longtemps cette énergie naturelle. Faucon a le don de rendre justes et beaux les gens qu’il filme. Leurs actes aussi. Ici, les baisers (homos ou hétéros) sont de vrais baisers, volés par une caméra qui se trouve toujours à la bonne distance: à la frontière de la pudeur et de l’impudeur. Une position instable qui épouse parfaitement l’état d’excitation des personnages, leur jeunesse désordonnée. Il règne pendant les deux tiers du film un esprit de vacance(s), une allégresse collective qui pourrait être très mièvre si le cinéaste ne procédait pas par touches discrètes. Un art de l’effleurement, de l’instant fugitif, particulièrement sensible au cours de la séquence au bord de la mer. Le titre, sans doute ironique, est à l’image du film: désinvolte et facile comme une sonatine. Il y a bien quelques moments graves ? le chagrin de Muriel, le conflit avec la mère. Mais cette gravité est toujours dépassée par un souffle d’innocence, un rythme fluide qui rappelle quelquefois l’univers de Rozier et d’Adieu Philippine. Le lyrisme en moins. Une question demeure: qu est-ce qui pousse le cinéaste à ne travailler que pour la télé? « J’ai pu réalisé Sabine et Muriel fait le désespoir de ses parents pour Arte, grâce au concours de Pierre Chevalier. C’est quelqu’un que j’estime car il agit à l’intérieur d’une instance assez lourde sans jamais la subir. Malgré la précarité de ses moyens et de sa position, il se bat pour provoquer des éclats. Travailler pour lui, c’est aussi accepter des moyens limités. Mais je sais à chaque fois que cela implique un investissement total : je ne peux jamais céder à la facilité. » Alors, pas de frustration par rapport à la sortie en salles’ « Si, sans doute. Je mentirais en disant le contraire. Si j’avais fait le film pour le cinéma, j’aurais plus de temps, j’aurais développé certaines choses que j’ai dû improviser en catastrophe. Un film pour la télé demande une impulsion immédiate: les délais sont très courts. Cela dit, le cinéma peut aussi conduire à d’énormes frustrations. Quand on connaît la quantité d’énergie et de temps dépensés qui se solde par une vie à l’affiche de quelques semaines, voire de quelques jours, il y a de quoi être frustré. Un téléfilm, même s’il n’est diffusé qu’une fois, a les moyens d’avoir une audience plus large. »
Le robinet à images transformé en école de cinéma C’est, somme toute, plutôt une bonne nouvelle. D’autant plus stimulante que les élèves deviennent des cinéastes talentueux.
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