L’actualité libyenne relance la question épineuse des fonds investis par un des fils de Mouammar Kadhafi, Saadi Kadhafi, dans la production de films aux Etats-Unis. Argent Sale ?
La révolution en cours en Libye risque de jeter un coup de froid à Hollywood et réveiller une vieille polémique. Avant la grand-messe d’autoconsécration des Oscars, tous les regards convergeaient vers le fils de Mouammar Kadhafi, Saadi Kadhafi, l’ex-footballeur bling bling fraîchement reconverti dans la production de films aux Etats-Unis. Selon le site d’information financière Bloomberg, les projets du fils du dictateur (la promotion du thriller Isolation, et un film sur la mafia avec Mickey Rourke) ne semblent pour l’instant pas menacés. Mais certains s’interrogent sur le bien-fondé de cette collaboration, alors que Saadi Kadhafi est récemment sorti de sa réserve dans une interview accordée au Financial Times pour défendre la gouvernance de son père.
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Le cinéma, une passion familiale
L’affaire avait fait la une de la presse américaine l’année dernière : « Saadi Kadhafi goes to Hollywood ! ». Après une carrière manquée de footballeur professionnel (résumée à quelques matchs en série A italienne, une question de gros sous à la Juventus de Turin, et une accusation de dopage), le petit protégé de Mouammar Kadhafi (né d’un deuxième mariage) s’était lancé dans la production de films aux Etats-Unis.
Il annonçait début 2010 un investissement de 100 millions de dollars dans la très secrète boîte de production Natural Selection, basée à Los Angeles, et fondée par le businessman Matty Beckerman. Cet ancien directeur de label indépendant, tourné rapidement vers les échanges avec l’Afrique du Nord, prévoyait un plan de production de 20 films en cinq ans, avec un budget moyen estimé à 15 millions de dollars. Et se félicitait des accords passés avec Saadi Kadhafi :
« Nous sommes ravis de travailler avec Saadi Kadhafi et nos autres partenaires pour lancer Natural Selection, dans le but d’assurer la production de projets de qualité, expliquait-il au Screen Daily. Saadi nous apporte des ressources incroyables, une compréhension solide de la situation financière de notre industrie et, surtout, une passion pour le cinéma ».
Le fils du dictateur libyen avait lui-même tenu à rappeler toute son « affection pour l’industrie du cinéma », dont il se présentait comme un « grand fan ». Un intérêt partagé avec son père Mouammar Kadhafi, qui avait annoncé en 2007 son projet de film Years of Torment, un script qu’il avait lui-même écrit sur l’invasion de la Libye par l’Italie en 1911. Le tournage, qui devait démarrer en 2009, est toujours en development hell après la désaffection des acteurs pressentis comme Ben Kingsley, Anthony Hopkins, et plus récemment Omar Sharif.
Le cinéma à l’épreuve de la realpolitik
S’il n’a toujours pas rencontré le succès (d’estime ou public) espéré, Saadi Kadhafi a déjà contribué au financement de deux longs-métrages, assez cheap, sous la bannière Natural Selection. Il a notamment assuré le poste de producteur exécutif sur un thriller en milieu hospitalier (Isolation dont aucune date de sortie US n’est encore annoncée), et un remake du film allemand L’expérience, réalisé par le créateur de Prison Break, Paul Scheuring, avec Adrien Brody et Forest Whitaker.
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Mais les affaires de Saadi Kadhafi à Hollywood devraient s’accélérer un peu avec la mise en chantier d’un nouveau film, The Ice Man: Confessions of a Mafia Contract Killer, l’adaptation de la biographie éponyme de Philip Carlo. C’est Mickey Rourke qui incarnera le célèbre tueur à gages Kuklinski, dans un film qui s’annonce comme le premier projet ambitieux de Natural Selection.
Interrogée par le site Bloomberg, la rédactrice en chef du magazine Screen International, Wendy Mitchell, indique que les évènements survenus en Libye depuis le 15 février ne remettront pas en cause la préparation du film : « Il est difficile d’obtenir de l’argent pour investir dans les films, donc je ne pense pas que les gens engagés prendront une autre direction. Ils faisaient de bonnes affaires avant que tout cela ne se soit passé. »
Vieil argument de realpolitik (l’argent n’a pas d’odeur) auquel elle ajoute une étonnante description de Saadi Kadhafi : « calme et légitime, moins politique que son père ». L’interview, réalisée le 23 février, contrastait pourtant avec les premières déclarations publiques de Kadhafi junior qui, dans un entretien accordé au Financial Times, défendait fidèlement le régime de son père, persuadé qu’il reprendrait « tôt ou tard » le contrôle du pays.
L’argent de papa
Les intérêts du clan Kadhafi à Hollywood n’ont pourtant pas toujours été très bien accueillis. Le président de la société de production Random House Films, Peter Gethers, avait ainsi refusé de travailler en collaboration avec Natural Selection et Saadi Kadhafi, invoquant des raisons « éthiques, morales, et politiques ».
Mais l’opposition la plus franche était venue de Brian Flynn, journaliste pour le Wall Street Journal, et porte-parole de l’association des victimes de l’attentat de Lockerbie commandité, selon les dernières informations, par la Libye en 1988 (qui avait fait 270 victimes, dont le frère de Brian Flynn). Il se déclarait choqué au Daily Beast par ce partenariat entre une entreprise américaine et Saadi Kadhafi :
« C’est une tentative assez pathétique venant d’un fils de dictateur qui veut être un acteur d’Hollywood. Mais l’argent, à qui il appartient ? C’est celui de papa. »
Romain Blondeau
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