La jeune réalisatrice belge explore le harcèlement à travers les yeux d’une élève de CP. Un premier film audacieux et radical.
On ne le dit pas assez, l’école élémentaire est le premier champ de bataille. Le premier combat, dans une guerre qui a lieu tous les jours et qui n’est jamais gagnée. Les enfants sont prié·es d’affûter leurs armes. De dégainer coups de pied et phrases blessantes, au risque, sinon, d’être désigné·es par une armée de “camarades” comme le mouton noir. La “victime émissaire”, pour reprendre le terme inventé par le philosophe René Girard.
Oui, l’école a aussi et surtout ses bons côtés. Mais ce n’est vraiment pas le sujet du premier film de Laura Wandel, réalisatrice belge de 37 ans, qui n’a pu apprendre à trancher dans le vif de sa mise en scène qu’en aimant les films de ses compatriotes, les frères Dardenne.
Son cinéma en a la radicalité. La même force immersive. Avec sa lame parfois un peu trop affûtée, elle va suivre les premiers pas à l’école d’une élève de CP, Nora, témoin du harcèlement scolaire dont est victime Abel, son grand frère. Avant d’être à son tour, par capillarité, soumise à d’autres formes plus retorses de persécution.
Une expérience sensorielle éprouvante et habitée
Les adultes sont soigneusement tenu·es à l’écart de ce jeu de massacre : ils et elles n’entrent pas dans le champ de la caméra, à moins d’être à hauteur d’enfant. Pendant 1 h 15, la durée du film, tout est vécu du strict point de vue de Nora (la magnétique Maya Vanderbeque).
Ce dispositif nous immerge dans une expérience sensorielle éprouvante, forte et habitée, à travers un enchaînement de scènes où, déjà, s’invite une forme larvée de maltraitance. Celle-ci est d’abord scolaire, institutionnelle : enfants frigorifié·es à la piscine, vacillant·es sur une poutre en cours de gym, renversé·es au sol lors d’un jeu de colin-maillard…
Violence ensuite dans les divers sévices infligés à Abel par d’autres élèves, transformant les séquences de récréation en redoutable thriller carcéral. Violence psychique, enfin, pour Nora qui finit par être la cible d’ostracisation par ses copines (dont une particulièrement méchante, qu’on priverait bien de goûter jusqu’à la fin des temps).
Dans cet univers effrayant, véritable prison (le père, joué par Karim Leklou, ne peut parler à ses enfants qu’à travers des barreaux), Nora tente d’y voir clair et de tenir debout. Mais le monde reste flou et son quotidien est une succession de chutes et de coups. La solidarité entre frère et sœur, un temps mise à mal, existe fort heureusement. Des adultes doux·ces et compréhensif·ives aussi (la très gracieuse “institutrice” Laura Verlinden). Et il y a certaines étreintes qui ont de quoi désarmer le monde.
Un monde de Laura Wandel, avec Maya Vanderbeque, Günter Duret, Karim Leklou (Bel., 1 h 15, 2021). En salle le 26 janvier 2022.