“30”, le nouvel album d’Adele, explore les émotions liées à une séparation. La chanteuse, dernière diva de son genre, y manie grandiloquence et boursouflure, intime et douleur. Facile à dénigrer ? Un disque surtout qui en dit long sur l’époque et son état.
Du piano électrique, à l’ancienne, pas grand-chose d’autre, au début, mis à part la voix, puis des cordes : le début est presque anémique, pris dans une réduction des effets, une économie des arrangements. L’impression est forte d’être quelque part entre les années 1950 et 1960, dans un chevauchement temporel.
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Sauf qu’il n’y a pas de souffle, manque les bruits d’époque, les tremblements et les grésillements des micros. Un chorus arrive, qui enfle le tout, et puis les voix s’éloignent, comme en un mirage. 30 débute d’une étrange façon : celle d’un renoncement, d’une mise en sourdine presque, qui fait écho au titre du premier morceau, Strangers by Nature.
Étrangers l’un à l’autre, c’est-à-dire ? Tout le disque explore cela : la mise à distance de l’autre, la fin d’une histoire – une séparation, un divorce. Le morceau suivant, single déjà sorti, Easy On Me, est une confession d’une sincérité assez bluffante, trouvant les mots justes et plutôt très réels, voire véridiques, d’un déchirement intime et d’une conversation avec un autre, qui n’est déjà plus là mais auquel on demande de la douceur.
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Entre heurts et douceur
C’est quoi la douceur, dans une séparation ? Adele la cherche en permanence, elle se heurte, en permanence aussi, à son contraire – la boursouflure des larmes, la grandiloquence des émotions, la mise en explosion des affects, la volonté de s’en sortir en faisant tout exploser : les morceaux du centre de l’album disent la recherche de la fête, la volonté de s’ancrer dans une joie nouvelle. Rien n’y fait réellement : ce qui fonctionne le mieux, ce qui ancre, en fait, l’auditeur, ce sont les moments où Adele chante en dialoguant avec l’autre – et non pas tant les chansons dans lesquelles elle commente, elle digresse, elle généralise.
Lorsque sa conversation est précise, elle est imparable : sur Woman Like Me, son ton devient droit, sa voix est face à vous, et elle dit son fait. La chanson joue avec les mots, les perceptions, le dévoilement : “the key to keep a woman like me… ”, dit-elle – comme s’il y avait réellement une clé, une solution. En face, elle assène un “man like you could be lazy” – la paresse de l’autre, les virevoltes, les acquis, la désinvolture. Elle déploie son fil, elle discute, avec les mots, les sentiments, qu’elle met à distance pour déconstruire la relation. Les plus avertis y verront un écho, involontaire, avec un morceau du grand Arthur Russell : Kid Like You – qui évoquait là aussi l’incompréhension dans les relations, les inexactitudes.
Et le reste ? Le reste vacille entre les positions. Celle de la diva qui pousse la voix jusqu’à l’outrance, se battant presque contre les cordes, alignant, sur la fin du disque, des performances si vives qu’elles en deviennent presque visibles, palpables. Celle aussi, ailleurs, de la proximité, de la simplicité, de la brutalité même qui en découle : l’usage des mots les plus simples, presque aussi les plus anecdotiques, donnent au disque un air très proche.
Adele, souvent, chante comme si elle déployait des vérités toutes faites – ou plutôt comme si elle trouvait son registre dans les injonctions qui circulent sans cesse sur Instagram et autres réseaux sociaux, destinées à rasséréner celles et ceux qui passent des heures à faire défiler leurs écrans, espérant y trouver une amorce de vie meilleure.
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L’air du temps
Adele chante cela, en quelque sorte, sortant les mots du social virtuel pour en faire la matière de ses paroles. Au premier abord, la langue est pauvre. Puis, elle se révèle un peu plus complexe, une fois que l’on s’est souvenu de l’étrange position de cette chanteuse : dernière diva blanche, blonde, aux airs souvent ancrés dans une esthétique rétro, tout en jouant la carte de la distance, de l’ombre. Adele fait figure désormais de singularité étrange dans un monde qui ne jure que par le déferlement incessant, la multiplication des artistes, des morceaux, des tubes, des phénomènes. Prenant cela à rebours, elle donne à ses albums des titres qui disent son âge, à chaque fois. Comme si chaque nouvelle œuvre enregistrée devait servir de journal de bord, d’éphéméride passé, retenant un moment de la vie, une année.
Quelque chose en elle, depuis plusieurs années en tout cas, résonne avec le grand public. Et cette relation raconte un peu de l’époque. Elle dit, sans doute, que l’on suit cette fille comme on suivrait une série, que l’on tente de la deviner et de la comprendre, sans doute pour mieux se comprendre soi-même. Là où les autres chanteuses font sortir le réel de son cadre, Adele donne un ancrage à l’intérieur du cadre.
Mais dans une époque où l’intérieur même du cadre a été entièrement bouleversé par une pandémie, ses façons de faire résonneront-elles encore autant ? Gageons que les thématiques explicites liées à la douleur de la séparation, à la culpabilité des éloignements, à la tristesse face à ce qui a été brisé, et notamment dans My Little Love, un des morceaux réussis du disque, à la production étonnante, mêlant des voix de rue, évocatrices de Londres, feront amplement écho à l’état décapé dans lequel les années 2020 et 2021 auront laissé le monde, et les couples.
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