Depuis 2012, le Britannique développe une série d’œuvres notamment filmiques autour de cette figure ultime de l’Autre exoticisé par le regard occidental de la fin du XIXe siècle. Pour la première fois, elles sont réunies dans leur intégralité.
Il y aurait, en quelque sorte, deux manières de sortir de l’impasse de la “mort de l’Homme”, ainsi formulée pour constater la teneur abusive d’un tel concept, dont la prétention d’universalisme rabat le spectre humain sur une norme masculine, blanche, occidentale et validiste. La première vise, du côté des théoricien·nes, sous l’égide notamment de la philosophe Rosi Braidotti, à dépasser les préjugés en construisant dès à présent le futur en le plaçant sous des auspices post-humanistes.
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La seconde, elle, s’avance du côté des artistes, et plus précisément autour de l’irruption d’un singulier corpus d’œuvres : la série que réalise, depuis 2012, Nathaniel Mellors autour de l’homme de Néandertal, figure conceptuelle par laquelle l’artiste britannique entreprend de relire les origines de l’humanité, elles aussi construites selon un certain point de vue dominant.
Une érudition vertigineuse, déjouée par des formes de la culture populaire et servie par une truculence décomplexée
Au Frac Bretagne, l’exposition Permanent Presents rassemble pour la première fois l’intégralité des films, sculptures animatroniques et peintures dédiées au sujet. Elle introduit également au mélange des genres caractéristique de l’artiste : une érudition vertigineuse, déjouée par des formes de la culture populaire et servie par une truculence décomplexée. Le film The Sophisticated Neanderthal Interview (2012) donne le ton : tourné au Griffith Park de Los Angeles, d’ordinaire utilisé pour les productions hollywoodiennes, il figure la rencontre entre Voggen Williams, personnification de l’homme de Néandertal, et un journaliste s’étant inopinément trouvé nez à nez avec lui.
Ce dernier incarne les préjugés nourris à l’égard du premier, dont le concept sera construit par les anthropologues de la fin du XIXe siècle selon les taxonomies en vigueur : une mentalité coloniale, raciste et objectifiante, le distinguant de l’Homo sapiens. Par l’entremise d’un personnage pas si grossier, prenant le journaliste à son propre jeu, l’identification change peu à peu de côté.
En filigrane se dessine également une relecture des origines de l’art
Dans les trois films suivants, le scénario prendra la forme d’un vol en chute libre (Neanderthal Container, 2014), d’une machine à remonter le temps (Ourhouse episode –1: Time, 2015-2016) et enfin, d’une crucifixion (Neanderthal Crucifixion, 2021). En filigrane se dessine également une relecture des origines de l’art : d’une réponse en guise d’esquive au journaliste, demandant à son interviewé ce qu’“ils” utilisent pour peindre (“des zigouigouis”), on passe dans le dernier épisode à une formulation plus précise du nerf de la guerre, à savoir l’introduction de la question de la propriété et de la rémunération.
Dans une scène particulièrement à propos, un blob de chair (Homo sapiens, donc) propose à Néandertal d’“organiser une exposition permanente de [son] travail”, contre une rémunération s’élevant à “beaucoup de coquillages”. Ici réside l’angle spécifique de l’artiste, dont le travail innervé d’une conscience de classe réintroduit une donne souvent oubliée des analyses contemporaines, si inclusives soient-elles.
Permanent Presents de Nathaniel Mellors, jusqu’au 2 janvier, Frac Bretagne, Rennes.
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