Maternité et mémoire : le cinéaste espagnol s’empare de ses deux thèmes de prédilection pour un mélodrame galvanisé par son énergie romanesque.
Autant Douleur et Gloire (2019) prenait la forme d’une confession dépressive à la première personne, autant Madres paralelas, le dernier Almodóvar, est un film romanesque qui plonge, pour la première fois ou presque, dans le pan le plus douloureux et le plus controversé de l’histoire espagnole, la guerre civile qui engendra la dictature franquiste. Cela ne signifie pas que le cinéaste espagnol renonce à explorer l’intimité de ses personnages. Simplement, ici, la psyché individuelle est reliée à la conscience collective.
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Madres paralelas est d’abord un film qui suit au plus près les trajectoires croisées de deux femmes qui se rencontrent pour la première fois au moment de leur accouchement. L’une, Janis (Penélope Cruz), a la quarantaine, l’autre, Ana (Milena Smit) est à peine sortie de l’adolescence. Leur rapport à la maternité est fondamentalement opposé mais leurs destins vont se trouver liés par un de ces hasards que le cinéma et la vie s’ingénient à transformer en nécessité.
Roman-feuilleton
Entre ces deux femmes, une énergie inconsciente circule en permanence. Elles changent de rôle, de place et sont en perpétuelle métamorphose. Elles sont, dans cette histoire entremêlée, comme une hydre à deux têtes qui finit par devenir un troisième personnage avec une vie autonome.
En termes purement scénaristiques, il pourrait y avoir quelque chose d’un peu schématique dans ce couple de femmes que tout oppose et que tout relie finalement. Mais, de cette double trajectoire féminine, Almodóvar tire avant tout une pure énergie romanesque. On est ici dans le mélodrame populaire, voire dans le roman-feuilleton. C’est-à-dire que toute forme de psychologie est mise au service d’une intensité croissante des lignes fictionnelles.
On ne souligne pas assez à quel point le cinéaste est, avec Woody Allen par exemple, l’un des grands narrateurs contemporains.
Rien de nouveau, peut-être, chez Pedro Almodóvar mais, pourtant, jamais sa narration n’a semblé aussi fluide que dans Madres paralelas. On ne souligne d’ailleurs pas assez à quel point le cinéaste est, avec Woody Allen par exemple, l’un des grands narrateurs contemporains. Car, tout en suivant au plus près les péripéties d’un récit qui file comme un train dans la nuit avec une aisance confondante, l’Espagnol ne cesse de tirer les fils de la généalogie.
Penélope Cruz en bras armé du cinéaste
Généalogies entrelacées, entravées, problématiques, incertaines, indistinctes, qui sont loin de se réduire à leur forme biologique ou à une revendication identitaire, mais qui, surtout, entrent en résonance avec la généalogie collective d’une fosse commune contenant les cadavres des victimes d’un massacre pendant la guerre civile. Cette dimension historique demeure longtemps presque souterraine. Mais c’est pour mieux ressurgir dans la dernière partie du film, engendrant une émotion collective, totalement nouvelle dans le cinéma d’Almodóvar.
Là encore, le réalisateur prend le risque d’un récit théorique. Pourtant, il faut souligner à quel point Madres paralelas est un film incarné par ses personnages et, surtout, par ses actrices. Penélope Cruz, en particulier, n’a jamais été aussi lumineuse et tourmentée à la fois. Elle est le bras armé, l’arme fatale de son mentor Pedro. Dans son premier grand rôle de maturité, un peu plus de vingt ans après Tout sur ma mère (1999) – auquel on pense parfois pour mieux s’en éloigner –, c’est elle qui porte toute la complexité d’un film qui donne, malgré la gravité du ton, un sentiment de légèreté.
Chez Almodóvar, les mères sont chez elles. Jamais cependant, avant Madres paralelas, il ne s’était approché d’aussi près de leur intimité, de leurs doutes, de leurs joies et de leurs souffrances intimement mêlées. Au-delà de la réflexion sur l’histoire douloureuse de l’Espagne, jamais plaquée et particulièrement salutaire, c’est cette empathie vraiment sensible qui fait le prix de ce film émouvant et populaire, à la fois complètement épuré et totalement musical.
Madres paralelas de Pedro Almodóvar, avec Penélope Cruz, Milena Smit, Aitana Sánchez-Gijón (Esp., 2021, 2h). En salle le 1er décembre.
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