Le cinéaste Lars von Trier pervertit les codes usuels du feuilleton : avec L’Hôpital et ses fantômes, il signe l’événement cathodique le plus stimulant et déglingué depuis le Twin Peaks de David Lynch. Un sitcom psychédélique danois ? Un feuilleton hallucinatoire qui radiographie l’état moral de la Scandinavie contemporaine ? Une farce potache entre Belphégor […]
Le cinéaste Lars von Trier pervertit les codes usuels du feuilleton : avec L’Hôpital et ses fantômes, il signe l’événement cathodique le plus stimulant et déglingué depuis le Twin Peaks de David Lynch.
Un sitcom psychédélique danois ? Un feuilleton hallucinatoire qui radiographie l’état moral de la Scandinavie contemporaine ? Une farce potache entre Belphégor et dérivation gore ? L’Hôpital et ses fantômes, c’est un peu tout cela à la fois, ainsi qu’une réjouissante satire de l’écran cathodique et de ses codes fatigués. De quoi s’agit-il ? L’hôpital Riget, fleuron de la médecine danoise, se dresse sur un emplacement habité au début de ce siècle par des blanchisseurs. A l’époque, le séchage de draps mêlé aux vapeurs des marais environnants engendrait un brouillard à couper au sécateur. D’où une atmosphère étrange, glauque, irréelle, qui s’impose à nos rétines embuées à l’heure où défile le somptueux prégénérique. Quatre-vingts ans plus tard, l’hôpital ne laisse a priori plus rien transparaître de ce passé ténébreux. Sauf que les mauvais esprits des morts continuent de squatter ledit lieu. Comme dans le Twin Peaks de Lynch, le petit jeu maladif de Lars von Trier consiste à entrecroiser l’univers lisse et sans aspérité de la communauté hospitalière avec les forces ténébreuses du paranormal, versant film d’horreur. Ainsi les bipèdes de l’hosto apparemment modèles idéaux pour une quelconque série débile agrémentée de rires en boîte ont beau être des figures grotesques et purement fonctionnelles que Lars von Trier agite au gré des développements diaboliques de son scénario, ils se révèlent néanmoins particulièrement louches et retors à mesure que l’absurdité ambiante va crescendo. Dans L’Hôpital et ses fantômes, rien n’est moins normal qu’une normalité apparente trop outrancière pour être honnête. Prenons le cas du professeur Helmer. Pour éviter les chapardages, il ôte chaque matin les enjoliveurs de son véhicule et tombe dans les pommes lors de son admission à la « loge » des médecins. C’est bel et bien autour de lui que gravite l’essentiel de ce qui tient lieu d’intrigue. Ou, si l’on foire une opération du cerveau sur une gamine, comment l’on échoue nécessairement dans une cérémonie vaudou en Haïti. Nous entrons ici dans la quatrième dimension du sitcom, là où les repères confortables se sont métamorphosés en signes délirants. L’Hôpital et ses fantômes est comme ça. Un film habilement coupé en tranches, nourri de pistes visuelles et sonores divergentes, de ruelles horrifiques mal famées, d’impasses sémantiques qui pètent à la figure dans un éclat de rire vaguement malsain. Expert en manipulations jusqu’ici moyennement convaincantes sur grand écran (Element of crime, Europa), Lars von Trier intègre à son univers les codes usuels du feuilleton télé, mais les traficote dans une cuve fantastique où ils finissent par devenir vraiment flippants. Cocktail qui flirte autant avec la parodie pure qu’avec l’inquiétude paranormale, L’Hôpital et ses fantômes fait partie de ces objets télévisuels qui rendent obsessionnel contre son gré ; on y revient indubitablement, l’oeil hagard et l’esprit en déroute. Une de ces rares instances où la télévision offre autre chose que du prêt-à-regarder, prêt-à-jeter.
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