Freinant sa tendance aux outrances baroques, Almodovar livre un film sobre et retenu, gaiement déprimé. Finalement, la carrière de Pedro Almodovar est du genre compliquée. Comique potache excellant primitivement dans la parodie hispanique et la pochade ironique, il semblait exclusivement destiné à tresser un joli petit univers kitsch, synchrone avec la fausse futilité des années […]
Freinant sa tendance aux outrances baroques, Almodovar livre un film sobre et retenu, gaiement déprimé.
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Finalement, la carrière de Pedro Almodovar est du genre compliquée. Comique potache excellant primitivement dans la parodie hispanique et la pochade ironique, il semblait exclusivement destiné à tresser un joli petit univers kitsch, synchrone avec la fausse futilité des années 80. Sa période frivole en quelque sorte. Elevé au rang d’auteur, proclamé chaînon manquant entre l’entertainment rigolard et les ambitions postmodernes, il paraissait un poil égaré ces dernières années. Piégé par des dispositifs trop malins, empêtré dans des tics superfétatoires. Ses deux dernières prestations (Talons aiguilles, Kika) apparaissaient ainsi comme des pièces montées indigestes où le décorum prenait toute la place et où la bordélique inspiration des débuts avait cédé la place à une prétention absconse.
Avec La Fleur de mon secret, Almodovar semble d’un coup réconcilié avec lui-même. Surtout, il semble enfin décidé à ne plus trop en faire pour raconter ce qui lui a toujours tenu a cœur, c’est-à-dire des histoires simples, des romans-photos émotifs, ce qu’il appelle lui-même des « mélodrames durs ». A ce titre, l’argument de La Fleur de mon secret peut être considéré comme une jolie mise en abyme de sa propre carrière. Soit l’histoire totalement schizophrénique de Léo, héroïne déprimée, dont la vie est bizarrement coupée en rondelles. Pour, comme on dit, gagner sa vie, Léo écrit des bouquins Harlequin sous le pseudo d’Amanda Gris, star espagnole du roman à deux sous. Piège du rendement : Léo doit coûte que coûte continuer à produire des kilos de mots inutiles alors que le désir créatif est parti se promener ailleurs depuis des lustres. Du côté sentimental, c’est évidemment bien pire : Léo est en effet mariée à un militaire dénommé Paco qui préfère de beaucoup ses viriles expéditions en Bosnie aux prévisibles effusions maritales. Sachant que sa famille est hystérique et que sa meilleure copine est une psychologue spécialisée dans les malheurs divers et avariés, Léo n’a vraiment aucune raison de sourire à la vie. Almodovar conserve ici ce qui a toujours constitue l’essentiel de son talent, à savoir le goût pour le détail grotesque (ou comment une paella tiède annihile le désir sexuel), les personnages désaccordés et la crise de nerfs familiale.
Seulement, il n’en rajoute pas. Pas de décors à quadruples ressorts. Pas de morceaux de bravoure baroques. Dans La Fleur de mon secret règne au contraire une volontaire platitude formelle. Radiographie sentimentale qui s’attache d’abord à enregistrer la tristesse des vies foutues. Comment se sort-on du mensonge ? Comment court-on après ses amours frelatées ? Almodovar suit l’itinéraire de son héroïne avec une conviction qui rigole jaune. Ce qui nous vaut un film drôle par intermittences, souvent dépressif aux entournures, et parfois même émouvant.
Avec ses faux airs de sitcom. La Fleur de mon secret retrouve le secret perdu de La Loi du désir ou Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça ?, films où Almodovar parvient à conjuguer son imaginaire débridé et sa sensibilité à fleur de peau.
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